C'est le début d'une révolution citoyenne, une lutte des classes, brouillonne, désorganisée, inquiétante. Elle est dans la rue, dans les bistrots, dans les esprits ou sur les réseaux. Elle n'est pas "pure" comme dans les livres d'histoires, les mythes communistes ou les fantasmes bourgeois.
C'est une lutte de classes, et peut-être une révolution.
Les débouchés politiques sont incertains. Les Gilets Jaunes ne sont pas structurés, ils se méfient des récupérations. Finalement, la totalité des partis d'opposition - extrême droite, LR, parti socialiste, France insoumise, PCF et même les centristes de l'UDI , et maintenant les syndicats - CGT, FO, Sud (mais pas la CFDT) participent au mouvement. Certains se pincent le nez, d'autres tels le Front national et la droite furibarde de Wauquiez soufflent sur les braises marginales du poujadisme xénophobe, d'autres au contraire tels les insoumis ont saisi dès le départ qu'il fallait soutenir le volet social de ce ras-le-bol populaire de la France d'en bas. Ruffin appelle à comprendre. Sur les ondes, Mélenchon tente de faire la pédagogie de cette révolution citoyenne: "la Macronie est complètement perdue." Et "les Gilets jaunes ne veulent pas que l'on viennent avec des drapeaux d'une couleur politique particulière." Semaine après semaine, les sondages les plus officiels de la Macronista ne peuvent que constater l'irrémédiable montée de cette vague que personne n'a vu venir: 70%, puis 75% et maintenant 84% de soutiens d'après les enquêtes.
"Notre responsabilité, c'est de mettre tout le monde en grève." Philippe Martinez, CGT.Les classes populaires, moyennes, ou laborieuses, bref les classes d'en bas, sont sociologiquement ultra-majoritaires mais politiquement dominées. Elles sont hétéroclites. Les Gilets Jaunes illustrent cette non-homogénéité, mais qui a dit que la France d'en bas était homogène ? Il y a des jeunes, des vieux, des hommes de femmes, des machos et des féministes, des racistes et des anti-racistes, des poujadistes et des solidaires. Il y avait le sarkozyste Eric Ciotti qui embrasse l'anti-fiscalisme de certains et François Ruffin qui étreint les cris égalitaires des autres.
Les mots d'ordre sont divers, les raisons de la colère sont variées, parfois contradictoires, mais une thème commun se dégage - le ras-le-bol contre une politique jugée injuste. L'injustice n'est pas évaluée pareillement, mais il y a déjà quelques lignes directrices: un ras-le bol clair contre des impôts qui baissent beaucoup pour ceux qui ont beaucoup, et qui augmentent trop pour les autres, c'est-à-dire le plus grand nombre. Le rétablissement de l'ISF est par exemple l'un de ses mots d'ordre qui a fini par surgir dans les manifestations. Les budgets votés par les députés godillots de cette présidence des riches pour les deux premières années du quinquennat Macron (2018 et 2019) vont aggraver la situation financière des plus modestes et enrichir les plus riches. Ce n'est pas une journaliste insoumise ou gauchiste qui écrit, dans les colonnes du Monde mi-octobre, que "le pouvoir d’achat des ménages les plus modestes reculera sous les effets cumulés des budgets 2018 et 2019".
Comme souvent, cette lutte a défié toute prédiction. Elle est partie d'une étincelle que personne n'avait prévue ni allumée. Les insoumis, les syndicats et la gauche avaient pourtant tenté de mobiliser à de nombreuses reprises. Dès l'été 2017 contre la loi Travail. En vain, c'était trop tôt, la France politique était assommée ou indifférente. Le durcissement de l'état d'urgence en septembre ou les attaques contre les migrants jusqu'au vote de ce Code de la Honte quelques mois plus tard n'ont pas non plus mobilisé. Les sondages décrivent une France plus ouverte que les complices et les activistes de la xénophobie d'Etat n'osent le reconnaître, mais le soutien aux réfugiés ne mobilise personne dans la rue. Les attaques contre le service public du rail ou la réforme élitiste du bac pas davantage.
La hausse de la taxe carbone a agi comme une étincelle. Et tout ressort alors, de façon désordonnée.
Les classes d'en bas n'ont désigné qu'un adversaire commun. C'est leur point de ralliement. Grâce à Emmanuel Macron, cet adversaire de classe est désormais incarné.
Emmanuel Macron et son mouvement En Marche sont en effet l'incarnation de cette politique injuste. Elu sur un chantage anti-frontiste, Macron a ensuite pratiqué une politique essentiellement favorable aux mieux lotis, une infime minorité dans le pays, qui justifie ce paradoxe incompréhensible de soutenir des banques qui massivement poursuivent leurs investissements dans les industries pétrolifères et carbone mais taxe davantage le transport au diesel du plus grand nombre ou l'alimentation en gaz (+16% depuis janvier!!). "Make our planet great again" ? Vraiment ? Le slogan opportuniste de Macron, conjugué au show de selfies avec les grands de la finance au sud de Paris lors d'un spectacle indécent rebaptisé "One Planet Summit" en décembre 2017 ne résiste pas à la réalité: les banques françaises financent de plus en plus les énergies fossiles au détriment des renouvelables. Et sur ce sujet, qui frappe au cœur quelques proches alliés de la Macronista au pouvoir, cette finance que Macron chérit à coup d'écoles sur-mesures et d'exonérations fiscales pour traders, silence radio et bouche cousue. On se tait, circulez, il n'y a rien à voir. La justice "indépendante" n'ordonne même pas de perquisitions pour comprendre ces financements de quelques millions d'euros émanant de la clique des riches.
Les macronistes ne comprennent pas. Ou ils comprennent trop bien. Ils bafouillent, ils s'inquiètent. Ils raillent, ils moquent.
Ils agressent.
Qui sont ces gueux si mal organisés, qui osent réclamer la démission de Jupiter ? Qui sont ces gens que l'on "ne comprend pas" (dixit l'équipe @TeamMacronPR sur Twitter) ? Les éditocrates s'affolent. Qui sont ces "violents" ?
Mardi, les images élyséennes sont ubuesques. Le jeune monarque se fait filmer une heure durant devant une assemblée silencieuse, avec, derrière lui, un slogan anachronique: "changeons ensemble". Emmanuel Macron explique l'inverse: " Je retiens de ces derniers jours qu’il ne faut pas renoncer au cap quand il est juste, mais qu’il faut changer de méthode." C'est confirmé, Emmanuel Macron n'a absolument rien compris. Ses mots font "flop", et renforce chaque semaine le mouvement. Il pérore dans le vide, il explique qu'il refuse ses propres décisions. La séquence est surréaliste, un moment de science-fiction politique: "Je refuse que la transition écologique accentue les inégalités entre territoires et rende plus difficile encore la situation de nos concitoyens qui habitent en zone rurale ou en zone périurbaine ". Son propos, trop long, ne comprend également aucune annonce concrète nouvelle à l'exception d'un renoncement écologique: le report de 10 ans de l'objectif de réduction à 50% de la part du nucléaire dans le mix électrique, et donc le maintien d'au moins 14 réacteurs nucléaires usagés.
A l'hypocrisie fiscale s'ajoute l'irresponsabilité écologique.
La Macronie est complètement perdue. Edouard Philippe invite 8 représentants des Gilets Jaunes, mais deux seulement se pointent, le fiasco devient risible quand le premier ministre justifie après coup que l'échange fut "constructif" et "utile."
Les macronistes ne comprennent pas, ou ils font mine de ne pas comprendre que la suppression de 77 000 emplois aidés jugés "inefficaces" (dans les associations, les écoles, le secteur non marchand), dont les deux tiers des ex-bénéficiaires sont ensuite venus grossir les cohortes de chômeurs à Pôle Emploi dès 2017 ajoute à une colère froide si populaire. Ils ne comprennent pas combien la récente victoire en "justice" du groupe Elior à réclamer le remboursement de près de 3 millions d'euros de primes versées à des salariés depuis 10 ans, grâce à une astuce rétroactive de la loi Travail, écœure. D'ailleurs, l'une des députées macronistes bien en pointe sur ces Ordonnances Travail de l'été 2017, Carole Grandjean, n'est autre qu'une ancienne responsable RH du même groupe Elior.
Cette "société civile" portée au nues du Nouveau monde est en fait une clique de puissants et de valets qui privatise la République pour ses intérêts de classe.
Le ras-le-bol amorce une révolution. On ne connait pas ses débouchés, mais il permet un tri politique rapide. Certains s'accrochent encore au mépris contre les "fayots jaunes" et les "abrutis jaunes". Mais ce ras-le-bol en fait prendre conscience à d'autres ce que Macron est, depuis le début de sa campagne puis de son quinquennat: un tremplin l'inconnu et sans doute vers l'extrême droite. Aux Etats-Unis, la molle et hors-sol Hillary Clinton s'est faite pliée par Donald Trump. Le journaliste Bob Woodward détaille cet aveuglement des Démocrates, aveuglés par les succès précédents d'Obama. Au Royaume Uni, le Breixit a gagné. En Italie, l'effacé Matteo Renzi s'est fait dégagé par la clique de Salvini et Di Maio. Trois exemples où des clowns dangereux et xénophobes l'ont emporté.
La "République En Marche" est un recul. Elle représente un rétrécissement politique inédit en France, et une clarification à la fois: la fusion politique des bourgeoisies libérales, "éclairées", "de droite et de gauche", la fusion de ces clivages artificiels qui ne servaient qu’une classe minoritaire désormais seule, et sociologiquement minoritaire, face au reste du pays, c'est-à-dire 90 ou 95% du pays.
La Macronista est le crépuscule de la France d'en haut.
Macron sert de tremplin pour l'extrême droite. Il a légitimé son discours xénophobe avec la loi Asile et immigration. Il a légitimé son discours sécuritaire outrancier avec sa loi sur l'état d'urgence. Mais il s'est aliéné une majorité des classes populaires, laborieuses et moyennes excédées par ses largesses avec les classes d'en haut et son hypocrisie politique.
- La baisse des cotisations sociales salariales est une baisse de salaire qui se paye en déremboursements médicaux, plans d'économies sur les hôpitaux publics et prochaine réforme des retraites qui allongera la durée minimale de cotisations.
- La baisse de la taxe d'habitation se paye en hausse d'autres impôts pour compenser le déséquilibre dans les finances publiques locales.
- La réduction des emplois aidés frappent le secteur associatif. La suppression de l'ISF est compensée, presqu'à l'euro près, par la hausse des taxes sur les carburants et asphyxie les associations qui perdent en dons défiscalisés.
- La suppression de l'ISF et le CICE seront remboursés par une hausse des taxes écologiques. Ce fut écrit noir sur blanc par la Macronista. Servir les riches tout en culpabilisant et taxant le plus grand nombre... la belle affaire.
- On rembourse les capotes mais on dérembourse plus de médicaments, on ferme des maternités "pas rentables", on refuse le débat sur les accompagnants d'enfants handicapés.
- Le plan social dans la fonction publique touchera le plus grand nombre. La lutte contre la fraude et l'évasion fiscales est un voeux pieux, désavoué par la réduction des effectifs de Bercy et la loi sur le secret des affaires.
- La lutte contre le réchauffement climatique frappe les petits mais épargne les producteurs d'huile de palme, les entreprises qui déforestent en Guyane, ou les banques qui financent les industries pétrolifères.
Cette arrogance de classe donne la nausée. Après le demi-million d'euros pour une vaisselle nouvelle à l'Elysée, le jeune monarque se décide à refaire la moquette du Palais, pour 300 000 euros et la "grandeur de la France".
Il a le sens du timing.
Macron sert de tremplin pour l'extrême droite. Il légitime leurs outrances, et abime le lien social.
Ami(e) macroniste, ne pars pas.
Reste avec nous pour la fin.