Un camion circule sur la route 132, route bordée de la précoce neige de novembre. La fumée se dégageant du camion trahissant le froid extérieur. C'est l'automne, mais le décor goûte l'hiver. La maison vers laquelle le camion se dirige est aussi isolée que son propriétaire. C'est une grosse boîte, installée sur un diable, qu'on traîne vers la porte.
Le livreur qui se rend à la porte est trop stylé. Ses pantalons jaunes, son manteau 3/4 et ses lunettes noires à épaisse cadrure trahissent un artiste. Si ce moment avait une trame sonore, il en aurait composé la musique. La boîte semble lourde. La buée sortant de sa bouche confirme le froid. Il sonne à la porte. Le résidant lui ouvre la porte. Avant de le laisser partir, il lui donnera 50$ de type. Le résidant est un homme seul, mais riche. Il referme la porte en regardant dehors comme on s'assurerait que personne ne nous surveille.
fragile. Ce n'est pas la première fois qu'il fait ses gestes. Il semble content de ce qu'il voit dedans. Une poupée de femme de taille humaine. Il la trouve tout de suite belle dans sa belle robe courte. Elle est toute montée. Il la soulève et la transporte dans le salon. Il s'assoit dans le divan d'en face et en sort la télécommande. En appuyant dessus, la poupée penche la tête sur le côté et lui sourit. Monsieur est content. Il se prend en auto-portrait avec elle.
Il se sert un whisky et elle a la main tendue pour contenir son verre. Elle fixe le vide. Il travaille à son ordinateur et converse au téléphone toue ne buvant de temps à autre. Il fait des affaires internationales. Il sort de sa bulle et remarque sa poupée, sort sa commande et lui fait faire un sourire, la tête penchée sur la droite.
Il l'assied dans le salon, ses belles jambes croisées, et lui lit Lolita de Nabokov. Il remarque qu'elle a la main gauche croche. La replace. Dans son bain, plus tard, il l'assied à ses côtés et lui tend le bras gauche afin qu'il serve de porte-serviette. Il lui parle, la fait sourire, lui sourit à son tour, lui embrasse une main.
Il la change de robe et lui met le collier de sa précédente poupée. Il l'installe bien droite devant lui, à table pour souper et active son sourire, celui avec la tête penchée vers la droite. Il la reprend en photo, les reprend en auto-portrait, se sert et se ressert du blanc. Il plonge dans le blanc. Profondément. Il y nage. Bientôt, il sera gris.
Elle est stoïque. Trop stoïque. Il connait ce regard vide. Il prend sa commande. Tente de l'activer. La poupée reste stoïque. Si belle et si stoïque. Elle ne lui sourit même plus. Il connait trop ce film. S'en choque. Il lance la commande au bout de ses bras. La commande se brise. La poupée se désincarne. La tête vers la poitrine. Il la gronde. Elle ne répondra jamais.
Il la saisit sur son épaule, se redirige vers le fond de la maison comme il a trop souvent fait. La lumière du garage est vascillante. Il la dépose au sol. Sur les autres. Elle était si belle. Dommage.
La lumière vascillante laisse tomber des éclats électriques. Un de ses éclats tombe sur la dernière poupée. Puis d'autres éclats. Trop d'éclats. Qui finissent par faire l'effet d'un ranimateur cardiaque.
Monsieur réfléchit au salon. Prend sa douche. Se sert un pain aux confitures.
La poupée reprend conscience. Prend aussi conscience de l'état des lieux. Qui sont toutes ses femmes couchées au sol? Inertes? Elle se prend une corde qu'elle s'enroule dans les mains. A le regard vengeur.
Monsieur devait être à son ordinateur, se commandant un nouveau modèle de poupée avant de mourir. C'est du moins les images qui étaient encore sur son ordi portable.
Les traces dans la neige n'ont jamais mené à la poupée.
Encore recherchée.