Le radeau de Géricault 1818-2018 à la Maison des arts d'Antony (92) et photos

Par A Bride Abattue @abrideabattue
La très célèbre oeuvre de Théodore Géricault (1791-1824), le Radeau de la Méduse, a fêté récemment son bicentenaire et la Maison des Arts d'Antony (92) a décidé de l'honorer d'une manière assez originale à travers une exposition intitulée Le radeau de Géricault 1818-2018.
Une reproduction du tableau est exposée dans la salle du premier étage, prêtée par le musée des Beaux-arts de Bordeaux, et permet de revoir la scène que l'on pense connue de tout le monde, même si le tableau prêté est de dimensions réduites par rapport à l'original qui reste au Louvre.
A-t-on remarqué, car il faut de bons yeux pour la deviner, la voilure de l'Argus qui ne voit pas encore les naufragés qui malgré tout ont encore la force d’agiter des tissus dans le vent avec l’espoir de se faire repérer ? L’Argus ne les trouvera que deux heures plus tard.

La véritable histoire de la Méduse :

C'est de l'île d'Aix que La Méduse a appareillé, le 17 juin 1816, vers Saint-Louis, au Sénégal, afin d'y acheminer le nouveau gouverneur et les fonctionnaires nécessaires à la colonie, que l'Angleterre venait de restituer à la France après la restauration de la monarchie. La Méduse est accompagnée de trois autres bâtiments français, commandés par Hugues Duroy de Chaumareys, noble émigré à la Révolution, qui n'a pas navigué depuis 28 ans et qui doit sa nomination au retour de la monarchie. Six jours après le départ, Chaumareys décide de prendre les autres navires de vitesse et vraisemblablement à cause d'une erreur de navigation, la frégate s'échoue le 2 juillet sur un banc de sable, au large des côtes de l'actuelle Mauritanie.
230 personnes, dont Chaumareys et le gouverneur du Sénégal, prennent place dans les canots du bord. 150 autres passagers, majoritairement des soldats, sont entassés sur un radeau construit spécialement et qui très vite sera livré à lui-même, avec, en tout et pour tout, deux barriques d'eau et cinq de vin. Beaucoup d'hommes se blessent, se battent et on rapporte des actes d'anthropophagie. ils ne seront que 15 à survivre.
Le scandale aurait pu être étouffé sans le rapport d'un rescapé, Jean-Baptiste Savigny, le chirurgien du bord, rédigé pour le ministre de la Marine. En mars 1817,  Chaumareys sera jugé et condamné à trois ans de prison. Dans la foulée du procès, le récit du naufrage est publié et connaît un vif succès d'édition. Cette histoire extraordinaire fascina le jeune peintre Théodore Géricault qui a l'ambition de faire un tableau qui ait la puissance d'un pamphlet en faveur de l’abolition de l'esclavage. Il rencontra des survivants et construisit un modèle réduit détaillé du radeau pour réaliser son tableau aux proportions monumentales de cinq mètres sur sept.Il fera appel à la morgue par souci de réalisme afin que ses cadavres soient aussi vrais que possible. Son oeuvre fit sensation lorsqu'il fut présenté en août 1819 au Salon de peinture de Paris après été salué à Londres par un public anti-français
Le tableau s'appelait initialement Scène de naufrage sans lui associer le nom du bateau car la Marine, qu’on surnomme la grande muette ne tenait pas à ce que ce soit divulgué. Louis XVIII, fort embarrassé, l'aurait qualifié de prouesse picturale au Salon de 1819. L'artiste deviendra le père du Romantisme.

Une influence jamais tarie dans l'histoire de l'art :Le n'a jamais cessé d'inspirer les artistes, depuis Eugène Delacroix jusqu’à nos jours. C'est pourquoi la Maison des Arts d’Antony a convié quatre artistes contemporains ayant abordé au cours de leur carrière cet épisode historique et le Radeau de Géricault : la sculptrice sur bois Clarisse Griffon du Bellay, les peintres Jean-Michel Charpentier et Lionel Guibout, ainsi que le photographe Gérard Rancinan. Pour des raisons propres à chacun et dans des techniques variées, ces artistes apportent une relecture originale et moderne de l’œuvre de Géricault, souvent teintée de la triste actualité de notre société témoignant que la misère n’a ni âge, ni sexe, ni civilisation.

Jean Michel Charpentierest peintre, graveur, illustrateur, carnettiste, est né en 1959. Il vit et travaille à Bordeaux (33) où il a fait ses études de beaux-arts. Il racontait le choc esthétique que le tableau de Géricault lui procura lorsqu'il le découvrit au Louvre. Elle lui donna envie de peindre et de dessiner le corps grandeur nature, en exprimant ce qu'il appelle "nos radeaux", à savoir l’indifférence, la compassion, la cruauté et l’instinct de survie.Son Radeau est un travail de longue haleine, réalisé entre 2004 et 2009 et plusieurs de ses dessins préparatoires sont exposés (photo ci-dessus). Il choisit de réaliser une fresque aux dimensions réelles du radeau, soit vingt mètres par six mètres trente, qui jusqu’à présent n’a pu être montrée dans son ensemble. Elle est composée de vingt-trois huiles sur toiles autonomes assemblées les unes aux autres. On y voit une multitude de saynètes et de groupes de personnages, dont ceux des ʺégarésʺ et des ʺregroupésʺ auxquels appartiennent les fragments exposés aujourd’hui.
Clin d’œil à Géricault, Jean-Michel Charpentier intègre lui aussi dans la composition un autoportrait dans le seul personnage regardant le ciel. Pour lui, ʺle peintre est [en effet] celui qui pose les questions sans attendre de réponse et qui invite les spectateursʺ. Autre clin d’œil à la toile du maître, là où Géricault avait représenté un père et son fils, Jean-Michel Charpentier a choisi une mère et sa fille.Clarisse Griffon du Bellay a ceci de très particulier qu'elle est descendante de Joseph Jean Baptiste Alexandre Griffon du Bellay, rescapé de la Méduse. Elle est née en 1981et s'est formée aux Beaux-arts de la Ville de Paris. Elle vit et travaille à Nemours en tant que sculpteure. C'est en 2010 qu'elle réalise sa version du drame, qui a le volume disponible dans la cave où elle travaille pendant un an et qu'elle intitule ʺUn Radeau en héritageʺ. Elle y exprime l'effroi, le désespoir mais aussi l'instinct de survie.
Son radeau est en bois de hêtre. Elle travaille aussi le chêne et l'Homme-viande I, a été sculpté en 2012 dans du bois de cèdre. La jeune femme sous-titre ses oeuvres de quelques mots à l'évocation poétique : Préparé, séché, tranché/Pendu, encordé, exposé / Déshumaniser l'homme pour être capable de la manger/ L'élever, le sortir de l'eau pour qu'il ne pourrisse pas/ pour qu'il sèche au soleil.

Ses sculptures évoquent des corps accrochés comme des jambons et suggère le cannibalisme qui, pour elle, n'est pas un tabou. Elle emploie la corde ou elle forge elle-même les crochets nécessaires à leur suspension.
Lionel Guibout est né en 1959. Il est formé aux Beaux-arts de Paris, dans les ateliers de Louis Nallard et de Pierre Alechinsky. Peintre, graveur, sculpteur
L’origine du ʺMedusa Projectʺ de Lionel Guibout est une commande passée par un cercle littéraire en 1998 de lithographies destinées à illustrer la première édition exhaustive d’un récit de Jean-Baptiste Savigny, survivant du radeau de la Méduse. Deux ans plus tard, un nouveau livre sur le radeau de la Méduse paraît, en collaboration avec l’écrivain Michel Tournier (1924-2016), mais le procédé diffère du premier livre : cette fois, l’écrivain illustre les lithographies de l’artiste.
Après la lecture du témoignage de Savigny, l’artiste entreprend d’exorciser iconographiquement le drame humain décrit à travers cette relation du naufrage parce que les martyres n’ont pas d’âge, ni de race, ni de sexe. Le ʺMedusa Projectʺ, composé de dessins, de lithographies, de toiles et de sculptures, retrace l’histoire du naufrage de la Méduse, que Lionel Guibout interprète comme un événement mythologique.
C’est en imaginant une véritable mise en scène pour les deux livres exposés à Moscou en 2002, que l'artiste décide de réaliser une série d'une trentaine de très grandes toiles peintes tirées de ses lithographies, réalisées en technique mixte, dont trois sont présentées à Antony (La mutinerie, 2003, acrylique et huile sur toile ci-dessus), ainsi que quelques bronzes.
Né en 1953, ce photographe plasticien revendique une formation autodidacte. Il vit et travaille en Île-de-France Un quatrième artiste, photographe plasticien ayant déjà été exposé à la maison des arts, complète l'exposition. Il s'agit de Gérard Rancinan qui a voulu témoigner des grandes transformations de notre société à travers cette œuvre en pointant le rêve des pays pauvres de tenter d’atteindre un Eldorado, que serait le monde occidental. L’œuvre résonne aujourd’hui tristement avec l’actualité de la crise migratoire.
Se décrivant comme un témoin du présent, il considère la photographie comme le miroir de nos sociétés : ʺJe suis un artiste engagé dans un monde où l’art est trop souvent devenu décoratif, dénué de sens ou trop souvent absconsʺ .
La photographie du Radeau des Illusions a été prise dans un studio parisien. Le décor, à la manière d’un tournage de cinéma, a été intégralement construit, dont un radeau de vingt-quatre mètres carrés. Les modèles ayant posé appartiennent à toutes les nationalités et la plupart sont effectivement des immigrés, en provenance d’Indonésie, d’Algérie, du Tchad, de Pologne, d’Inde, etc.
On peut suivre sur un écran le soin extrême qu’il a pris à la préparation de son ʺRadeau des illusionsʺ. Les fausses montres et les foulards de marque ayant servi au tournage sont compressés dans une sorte de totem et dénoncent la société de consommation.Depuis une vingtaine d’années, Gérard Rancinan travaille en étroite collaboration avec Caroline Gaudriault. Après avoir longtemps été journaliste indépendante pour la presse française et étrangère, Caroline Gaudriault est auteure et a écrit une dizaine d’ouvrages littéraires et d’essais. Dans le Radeau des Illusions, elle a réalisé des calligraphies qui dialoguent avec la photographie de Gérard Rancinan, ne formant plus qu’une seule et même œuvre.
Depuis mai 2018 et pendant une année entière, Gérard Rancinan et son équipe sillonnent le monde avec un immense Radeau des illusions sur bâche qu’ils installent à la sauvage dans des lieux remarquables, tels que le désert du Neguev, au sud d’Israël. Ce projet de performance artistique, intitulé Errance, évoque l’Homme cherchant toujours sa terre promise.
Au sous-sol les pensionnaires du Centre social d’hébergement d’urgence des migrants présentent quelques sculpture d’argile, alors qu'au premier étage une caisse de livres permet aux adultes comme aux enfants de trouver des lectures complémentaires.

Le Radeau de Géricault, 1818-2018Avec Jean-Michel Charpentier, Clarisse Griffon du Bellay, Lionel Guibout et Gérard Rancinan
A la Maison des Arts
Parc Bourdeau 20, rue Velpeau - 92160 Antony / 01 40 96 31 50
Du 14 novembre au 6 janvier 2019
Du mardi au vendredi de 12 h à 19 h
Samedi et dimanche : 14h à 19h - fermé les jours fériés
Entrée libre et gratuite