Je me penche sur la trappe entrouverte que je soulève à la verticale. Je déverrouille le clapet qui retient les deux battants du tambour de la machine à laver.
Ça fait clac.
Je plonge mes mains au fond de ce trou béant.
Le coeur battant.
Est-ce que ? Est-ce que cette fois ? Cette fois-ci ?
J’extrait avec précaution des chemises, des caleçons et un pantalon. De couleurs variables; variables, parfaitement. Oui, je sais, il ne faut pas mélanger les torchons et les serviettes, séparer le bon grain de l’ivraie et les couleurs du blanc. Mais moi, messieurs-dames, moi j’ai un piège à lessive qui fait crac boum hue et qui s’appelle 40 degrés, sport. Un programme de lavage rapide et doux, une botte secrète qui perce la fibre jusques au fond du coeur sans enlever une seule once de couleur.
40 degrés. Sport.
Méthodiques, mes mains explorent les derniers recoins de la cage métallique. Font le tour de ces pales transversales qui font tourner le linge et le brassent pour un résultat sans tache, ces pales traîtresses où s’accrochent les chaussettes. À l’envers. À la verticale. N’importe comment. Mes mains le savent et fouillent mais elles ne trouvent rien.
Les chaussettes.
Justement.
Vient ensuite le moment de vérité, la dépose sur l’étendage.
Pantalons, pulls, t-shirts, chemises, serviettes, draps et enfin les chaussettes, qui vont par paires et correspondent ainsi exactement au nombre de pieds qui me transportent du premier étage à la machine à laver. Ces deux pieds qui, quelques jours auparavant, m’ont conduit jusqu’au panier à linge où, je suis formel, j’ai bien déposé deux chaussettes. Deux. Le panier en question est un objet standard, en plastique injecté, avec couvercle et sans double fond. Je ne le quitte jamais de l’oeil pendant tout le temps que dure le transfert de mon appartement jusqu’à la buanderie. Je me charge ensuite personnellement de toutes les opérations de la transformation du linge sale en linge propre, plié et repassé.
Personnellement.
Dans mes mains, pourtant, une chaussette. Seule. Noire.
Je replonge dans les entrailles de la machine à laver. Rien. Que du métal. Perforé.
Le panier à linge.
Vide.
Mes chaussettes-fétiches. Pour courir et marcher. Gauche. Droite.
Une seule chaussette. La gauche.
Je fouille dans mon armoire. Ce tiroir triste où reposent toutes les chaussettes impaires, uniques et passent, dans l’hypothétique attente d’une nouvelle union. J’en ai toute une collection. Bleues. Grises. Peu de couleurs en fait, je dois avoir le pied discret, le pied timide, peu de couleurs, noires, noires justement, non, pas celle-ci, pas celle-là non plus. Aucune qui corresponde au signalement de la chère disparue, aucune avec une bande orange à l’intérieur et un L majuscule cousu à la verticale du gros orteil.
Je cherche encore, parmi les pulls et les pantalons. Je sais bien que c’est inutile mais je m’obstine en vain.
Rien.
Rien, rien, toujours rien, rien de rien.
Une fois de plus je me demande où s’en vont les chaussettes qui disparaissent un jour entre la chambre à lessive et la salle de bains. Par quel étrange prodige je me retrouve toujours avec une moitié de paire entre les mains ? Un tour de passe-passe ? Un sort jeté par un mage plus noir que son âme ? Ou alors … Ou alors ! Dans une housse de couette ! Mais oui mais c’est bien sûr, c’est déjà arrivé, pourquoi n’y ai-je pas pensé ? Seulement, seulement, sur l’étendage, aucune housse ne s’étend, justement. Alors quoi? Un monde parallèle ? Les Martiens ? La concierge ?
Et pendant que mon esprit en déroute se perd en chemin, mon pied droit se tourne vers la gauche et console son frère d’un geste de la main.