La reine des quiches de Sophie de Villenoisy 3,75/5 (05-11-2018)
La reine des quiches (208 pages) est disponible depuis le 4 octobre 2018 chez Denoël.
L'histoire (éditeur) :
A quarante et un ans, Murielle collectionne les échecs, comme si une vilaine fée prenait un malin plaisir à la persécuter. Après autant de fausses couches que de manuscrits refusés, elle s'est résignée à ne donner vie qu'à des articles sur les vermifuges dans la rubrique animalière d'un journal télé. Jusqu'au jour où un éditeur l'appelle, son dernier roman, Ceci est mon corps, l'a fasciné, il veut absolument le publier. Murielle n'en revient pas, son roman-confession sur sa propre stérilité va lui apporter la reconnaissance dont elle a toujours rêvé ! Mais ce succès littéraire pourrait aussi avoir des conséquences inattendues sur sa vie et son entourage...
Mon avis :
Murielle Petit, 41 ans, écrit des articles pour la rubrique Animaux de Télé depuis 9 ans (après avoir touché aux pages beauté, un comble pour cette femme au physique moyen- très vite remplacée par la délicieuses Karen…). Mariée à Jérôme (iconographe de métier et photographe amateur) depuis 7 ans, ils n’ont jamais réussi à avoir d’enfants et ont essuyé beaucoup de déceptions et de tristesse à chaque fausse couche (7 pour être précise, comme le nombre de romans que Murielle a écrits. Et oui, depuis 10 ans, elle consacre ses premières heures de la journée à l’écriture d’histoire dont les manuscrits, qu’elle n’a pas choisi d’abandonner, ont été refusés).
« Cependant, une fois ses trois mille cinq cents signes écrits sur les bienfaits de la stérilisation, Murielle ne put s’empêcher d’arriver à la conclusion que n’importe quelle petite caniche non stérilisée était plus douée qu’elle pour la vie. » Page 13
Mais Murielle a beau avoir honte et être régulièrement gagnée par une vague de désespoir face à ses nombreux échecs, elle continue d’y croire, même si ce n’est pas toujours facile et que le bonheur familiale des autres lui fait toujours aussi mal (sa sœur par exemple, mère parfaite de trois garçons et bloggeuse à plein temps, suivie par de nombreuses, très nombreuses personnes).
« Soudain son regard se porte se porte sur un couple qui se lève à quelques tables d’eux. La jeune femme, une jolie blonde, se fait aider à enfiler pour enfiler sa doudoune. Son ventre proéminant semble fortement l’incommoder. (…)
Ces quelques secondes l’ont déjà dévastée. Chaque fois c’est pareil, c’est comme une attaque surprise, un coup de poing dans le ventre qui lui coupe le souffle. Elle prend une gorgée de vin pour se donner une contenance et regarde Jérôme en s’efforçant d’être digne. Depuis toutes ces années, elle a appris à encaisser la douleur sans faire de grimace. Mais Jérôme n’est pas dupe, lui aussi à le cœur qui cogne, pour elle surtout. Alors, dans un même élan, ils se rapprochent et échangent un baiser amoureux et bravache. » Page 21
Un jour, la roue finit par tourner. Monsieur Gallimard en personne lui annonce que son manuscrit a beaucoup plu et qu’il souhaiterait la publier. Alors évidement sa première réaction est de penser à une mauvaise blague. Mais quand elle reçoit un mail de confirmation, elle prend conscience d’abord que tout est vrai et qu’ensuite elle ne se souvient pas avoir envoyé ce bouquin… Panique quand tu nous tiens… ça pour la tenir, elle maîtrise totalement Murielle !!!
« Sidérée, elle ne sait que faire de cette nouvelle autant elle a appris avec les années et l’expérience à gérer et digérer les chagrins, les déceptions et les refus, autant « ça », non.
Ce n’est pas pour elle. Ce n’est pas elle. C’est comme si, sorti de nulle part, quelqu’un venait lui déposer un magnifique poupon aux joues roses dans les bras et la déclarait « maman » pour le reste de sa vie. Impensable, à moins d’un miracle. Et Murielle est bien placée pour savoir que les miracles n’existent pas. C’est juste une autre forme d’escroquerie. »Page 30
Et pour en rajouter une couche, à la relecture de son texte, elle reste sans voix et réalise combien c’est osé, voire même cochon…
« Il n’y a pas que son utérus qui déraille, son cerveau est en train, lui aussi, de rendre l’âme. » Page 36
Toutefois la joie de la nouvelle (mêlée à une bonne de stresse évidement) la submerge enfin. Une nouvelle vie commence ?
« En déposant Murielle rue Gaston-Gallimard, Jérôme a le sentiment de l’emmener à la maternité. Il ne va certes pas assister à la naissance de leur enfant, mais à celle de sa femme, en tant qu’auteure. » Page 67
Mais bon, lorsqu’on est une angoissée chronique, reine des boulettes et habitée d’un furieux mal-être, pas facile de gérer tout ça !
« C’est troublant. C’est son texte, mais plus son manuscrit. Ce sont des mots d’auteur, relus, corrigés, validés et mis en valeur. C’est un roman. Son roman. L’émotion la submerge. Bouleversée, Murielle regarde ses épreuves, comme on se penche au-dessus d’un berceau, avec adoration, crainte et émerveillement. » Page 76
Ce vent neuf dans le couple et la vie personnelle de Murielle, est aussi une tornade qui va mettre un sérieux bazar et bousculer beaucoup de choses. Beaucoup plus qu’elle n’aurait pu imaginer…
« Pour la première fois depuis longtemps, l’avenir était excitant. » Page 109
Murielle est un personnage sympathique fort attachant. Pas facile de se voir renvoyer sans cesse une image de fille moyenne et de ne jamais se sentir à la hauteur (sa mère Carole n’ayant pas contribué à la mettre sur la route de la confiance en soi lui faisant sentir régulièrement qu’elle était loin d’être la fille parfaite qu’elle avant tant attendue). Cette manie de ne jamais réussir à goûter au bonheur m’a beaucoup touchée, même si parfois son côté extrême m’a un peu irritée.
« Murielle se force à lui sourire. Jérôme ne comprendrait pas son angoisse, pour lui c’est juste le trac. S’il savait. Murielle avait envie de mourir, de disparaître, elle n’aspirait qu’à une chose : pleurer à chaudes larmes et s’enrouler sous la couette. Ne plus se lever, ne plus se montrer et surtout ne pas savoir. Se tenir le plus loin possible de ce roman. Et Jérôme qui dès demain ira faire le tour des librairies du quartier…Imaginer que des gens vont lire ses mots, ses pensées, ça la rend malade. C’est comme si tout le monde allait renifler ses culottes sales. Plus que jamais ce soir elle ne se sent nulle et indécente. Dès demain tout le monde va découvrir son vrai visage, celui d’une pauvre femme stérile et laide. » Page 107-108
Sa détresse quant à ses différentes fausses couches et l’analogie constante de Sophie de Villenoisy apportent du poids au personnage et rend le lecteur beaucoup plus impliqué dans ses émotions
Pas forcément bourré de clichés, ne jouant pas sur les extrêmes non plus, La reine des quiches a beau être un roman chick-lit qui se veut léger et drôle, il reste très réaliste. Et, par la force des situations se révèle être une critique juste de la blogosphère (avec Cathy, 35 ans mère de trois enfants qui a tant besoin du regard des autres, de ses 8 mille followers, à défaut de trouver celui de son époux), une courte immersion dans le monde de la rentrée littéraire (petit aperçu du petit monde de l’édition, de son grand tralala et des retours ultra positifs du monde du livres véhiculés par les libraires et journaliste), et un livre plus psychologique que la couv ne le laisse penser.
La reine des quiches évoque le besoin de reconnaissance (du besoin de fierté de l’enfant face à son parent, du regard de l’autre dans le couple), de la nécessité à trouver sa place dans la famille, la société et la monde.
« Elle se sent encore hagarde. Et même su elle a un plaisir fou à déjeuner avec son éditrice au Café des Editeurs, elle ne se sent toujours pas à sa place. Elle voit bien qu’il y a un décalage entre elle et les autres. Elle ne fait pas partie de ce monde. Elle n’a ni l’allure ni la verve d’un écrivain. Elle se sent gauche et timide. Et avec ses joues rondes et rouges, elle est plus proche de la fermière sortant de son étable que d’une écrivaine sous les dorures de Saint-germain-des-Prés. » Page 175
C’est aussi un livre plus profond qui parle de secret de famille, d’amour filial (très différent pour Murielle et pour Jérôme, dont la relation avec sa maman m’a beaucoup émue) et de non-dits.
A travers des petits chapitres très rythmé et une écriture qui va à l’essentiel, Sophie de Villenoisy réussit à nous embarquer dans une histoire touchante, sincère, fraîche et ultra positive qui, avec ses dernières pages, laisse le cœur du lecteur tout léger.