bulle

Publié le 24 novembre 2018 par Modotcom


mercredi matin alors qu'il tombait
de lourds et gros flocons blancs sur la ville
j'arrivais aux abords de l'agence
dans mes sneakers orange fluo
bariolées comme les pattes de tony the tiger

avant que je franchisse la porte
le kid a vu mes godasses
il a remonté tranquillement la tête curieux
et j'attendais que nos regards se croisent
ses yeux blancs sur son visage chocolat
formaient deux ronds étonnés
sous sa tuque alors qu'il m'apercevait timide
je lui ai alors souri
et il m'a souri furtivement en retour
je lui ai envoyé un tata de la main
et il a levé le bras rapidement
j'étais déjà de l'autre côté de la porte
j'ai porté son sourire en moi
tout en montant à pieds
les huit étages
et j'étais heureuse
il avait quatre ou cinq ans
et nous étions encore connectés
si les gens savaient comment il est bon
de donner et recevoir des sourires
ils abandonneraient leur bulle
qui voient leur échine courbée
à quarante-cinq degrés
avec le regard visant le sol
ou quelque écran avant celui-ci
des fois ils portent aussi des écouteurs
et un capuchon bordé de fourrure
qui réduit leur champ de vision
et leur attention auditive
à un périmètre très réduit
cela cause des accidents dans la rue
et des frictions dans le métro
bref
une cohabitation gênante
dans les lieux publics
la bulle
c'est faire pour chez soi
c'est un luxe récent
que les gens ont de s'isoler ainsi
la voie publique n'est pas un lieu d'isolement
c'est un lieu de partage
c'est un lieu de communauté
c'est un endroit où on fait attention aux autres
on se tasse quand on se croise
on se sourit à moins de deux mètres de distance
on se donne un coup de main
quand la poussette doit monter les marches
ou les sacs d'épicerie manquent de fendre
on tient ses sacs dans le métro
on n'étale pas le livre ou le journal
on prend le moins de place possible dans le wagon
pour que tout le monde qui doit arriver
puisse également profiter du service
on s'arrange pour que la fourrure du capuchon
ne se ramasse pas dans les narines
du voisin d'en arrière
la voie publique ce n'est pas l'aire privée
et ce n'est un mal obligé
que si on ne sait pas en profiter
la voie publique c'est ce rare endroit
où toutes les rencontres se peuvent encore
où un regard et un sourire
peuvent changer votre journée
quand je marche
je m'arrête pour parler aux chats et aux chiens
et je salue les enfants
c'est facile car ils n'ont pas de bulle
ils sont attentifs à leur environnement
quand ça se peut je salue les adultes
profitez des gens
faites éclater votre bulle!