La Grande Guerre terminée, Albert Londres suit quelque temps les armées victorieuses en territoire ennemi désormais occupé. Après quelques jours sans connexion à Internet (pour moi, pas pour lui), on reprend donc le fil de ses articles, désormais regroupés dans un ouvrage numérique de la Bibliothèque malgache, «Je ne dis que ce que je vois».Le roi Albert et la reine font à Anvers une entrée triomphale (De notre envoyé spécial accrédité auprès des armées britanniques.) Anvers, 20 novembre. Les rois ses ennemis cherchent à l’étranger des châteaux où ne pourra venir battre la haine de leur peuple et lui Albert, dans son pays, triomphant, avance. Sur son passage, la Belgique déborde d’amour. Les routes de Flandre et de Wallonie ! De longues kermesses ! Les troupes les remontent en joyeuse hâte, des arcs de triomphe poussent partout, on est en pleine campagne où l’on ne voit que des moutons, il en est sur de petits chemins que seuls des égarés penseront à prendre, les villages sont tout en couleurs, les rues sont sous le dais des drapeaux noir-jaune-rouge. Personne plus ne travaille, le peuple sur ses places, à ses fenêtres, du premier matin à la nuit tombée, regarde les régiments en marche. Dans chaque bourg, dans chaque ville, chaque mère guette, soulevée au milieu des rangs, la réapparition de son fils. Il n’y eut pas de congés pour eux. Ce n’est pas quatre mois, c’est quatre ans qu’ils ne se sont pas vus, étreints. Les cloches sonnent, les carillons jouent, elles sonnent, ils jouent depuis neuf jours. C’est que dans leur cas, on ne ressuscite pas entièrement en vingt-quatre heures, la pierre du tombeau était trop lourde, elle ne se soulève que peu à peu. Joue carillon, répète sans cesse qu’ils sont bien libres ! Joue à Gand, à Bruges, à Bruxelles, à Anvers, ce matin surtout, chante sur Anvers, voici le roi ! C’est de là qu’en 1914, pour le calvaire, il est parti. Anvers, unique espoir, comme le reste tomba, et ce fut la retraite le long de la mer, et ce fut le roi avec sa reine et les deux princes et son armée jetés à la côte. Anvers, dernière cité qui vit ce glorieux malheur, aujourd’hui est debout. Celui qu’elle regarda s’éloigner emportant dans ses bras pour que l’Allemand ne le salisse pas l’honneur de la Belgique, vainqueur lui revient.