Tout se met donc en place, petit-à-petit, presque calmement. Le pays, lentement mais sûrement, se crispe sur ses habitudes parmi lesquelles on a choisi, sans honte, d’établir le niveau des recettes fiscales par rapport aux prévisions de dépenses au lieu de l’inverse.
L’imagination étant vraiment au pouvoir, les idées de dépenses ne manquent pas. Soyons franc : comme il s’agit de l’argent des autres, elles ne manqueront même jamais.
Il faut donc, coûte que coûte, trouver toutes les sources possibles d’abondement à ces dépenses plus ou moins fastueuses. À ce titre, c’est à Bercy que l’imagination est la plus débridée.
Récemment, et ce fut même l’occasion d’un petit billet explicatif, on apprenait par la bouche de Gérald Darmanin, le frétillant Ministre de l’Action et des Comptes publics, que Bercy allait investir pour son avenir (celui de Bercy autant que celui de Darmanin, d’ailleurs) : grâce à l’adjonction d’un logiciel malin qui va fouiner sur les réseaux sociaux, l’administration fiscale entend repérer et coincer les évadés et les fraudeurs fiscaux ou, en tout cas, ceux qui ont la mauvaise idée d’afficher un train de vie scandaleusement opulent en comparaison d’une imposition scandaleusement faible.
Que voilà un sympathique concept, dont on ne découvre que récemment une première estimation de la facture : apparemment, on peut arriver à traquer facilement les internautes fraudeurs pour la bagatelle de 20 millions d’euros.
Comme je l’avais noté avant même de connaître le montant qu’on envisageait de cramer dans un beau feu de joie, on sait déjà que toute cette opération va remarquablement bien se dérouler. Ce n’est pas le premier projet informatique mené par l’État. Ce n’est pas la première fois qu’il entend révolutionner tel ou tel aspect de ses services. Ce n’est pas la première fois qu’il cherche à pister le citoyen, le contribuable, l’internaute pour l’empêcher de penser de travers, de payer en dehors des clous, de poster des mèmes idiots ou de faire péter l’un ou l’autre portique multi-taxe.
Et ce n’est pas non plus la première fois qu’un tel projet se plantera, comme Louvois avant lui ou comme la petite Sirhen de l’Éducation Nationale… Ah oui, au fait, vous n’en avez que peu entendu parler, mais après Louvois et son demi-milliard d’euros de catastrophe industrielle retentissante, Sirhen, c’est ce logiciel destiné à prendre en charge les ressources humaines de l’Éducation Nationale, qui aura englouti 320 millions d’euros … en pure perte.
Devant ces chiffres, les 20 petits millions d’euros consacrés à la chasse au kéké sur Facebook paraissent presque maigres.
Mais on doit se rappeler que, d’une part, l’opération est logiquement vouée à l’échec tant ces réseaux sociaux ne sont en rien le reflet de la réalité et inciteront surtout les contribuables à se méfier encore plus de toute interaction en ligne avec le gouvernement. D’autre part, l’État n’a jamais été capable de démontrer la moindre capacité à réussir un projet informatique d’ampleur.
Autrement dit, voilà 20 millions qui vont aller à la poubelle (en passant probablement par la case « dérapage budgétaire à 100 millions » histoire de se rapprocher des précédents dodus).
Les fanfaronnades de Darmanin seront probablement mises en sourdines lorsque le fabuleux logiciel, acheté à grands frais, se révélera particulièrement mauvais ou impuissant à traquer les fraudeurs jusque dans les chiottes de Renault-Nissan.
Cependant, peut-on vraiment être surpris de la médiocrité du personnage lorsqu’on se rappelle qu’il y a un an – le 24 novembre 2017 – ce même pipeauteur frisé se laissait aller à ironiser avec décontraction sur une éventuelle jacquerie que provoquerait l’augmentation du prix des carburants ?
En effet, un an donc avant l’actuel mouvement des Gilets Jaunes, le sénateur LR Jean-François Husson et l’écologiste Ronan Dantec avaient alerté – en vain manifestement – le gouvernement sur le risque de « voir naître une nouvelle vague de bonnets rouges » face à la hausse des taxes sur le carburant.
Le ministre Darmanin, constatant qu’il fallait bien trouver des recettes pour toutes les belles dépenses prévues, avait balayé d’un revers de la main l’hypothèse d’une telle fronde : après tout, si ces dépenses étaient engagées, c’est bien parce que tout le monde réclamait ces infrastructures, indispensables ♩ au vivrensemble, à la puissance du pays et à la survie ♫ de son patrimoine ♬ culturel tsoin tsoin ♪.
L’idée même qu’il faille, à un moment donné, faire une croix sur les dépenses précisément parce que les recettes n’y sont plus (et que, en pratique, les populations concernées sont de moins en moins chaudes à claquer des thunes pour ces infrastructures pas réellement indispensables), cette idée n’a traversé l’esprit de personne à ce moment-là.
Mais voilà : comme le disait fort bien Margaret Thatcher, le socialisme fonctionne bien jusqu’au moment où l’argent des autres vient à manquer… ce qu’on observe actuellement, et qui laisse planer comme un gros doute sur la capacité des finances à supporter encore longtemps les gabegies en cours.
Plus inquiétant encore, ces péripéties d’il y a un an éclairent d’une lumière franchement crue la capacité d’anticipation des clowns à roulette qui nous gouvernent… Ou plutôt, de son absence : Darmanin n’avait à l’époque manifestement pas du tout compris le message pour une fois réaliste des Sénateurs.
À l’aune de cette aventure, on ne peut que s’inquiéter de la façon dont le gouvernement entend traiter le problème des Gilets Jaunes.
Plus aiguë encore sera cette même question des capacités du gouvernement à gérer le déficit budgétaire et l’état des finances publiques alors que, cette année encore, les dépenses publiques continuent d’augmenter, que les prélèvements publics battent des records, et que l’impôt sur les sociétés aussi.
D’ailleurs, on tabasse les entreprises d’impôts car tout le monde sait que les taxes sur le lait sont payées par les vaches. Ce qui permet d’avoir, en face, des services publics d’une redoutable efficacité et d’une qualité irréprochable (notamment l’inspection du travail, le fisc ou les douanes qui peuvent intervenir 24 h/24, mieux et plus vite que la Justice, la Police ou l’Armée).
Dans ce contexte, les fanfaronnades de Gérald Darmanin n’apparaissent absolument pas rassurantes, surtout que c’est le même champion qui est en charge du Prélèvement de l’impôt à la source.
Alors que le pays traverse un moment difficile, ses dirigeants ont décidé de s’empiffrer de petits fours, de faire une soirée mousse et de mettre à fond la musique disco. C’est donc en toute logique que, lorsque la réalité viendra frapper à leur porte, ils n’entendront rien.
C’est dommage, parce que la réalité ne se contente jamais de seulement frapper gentiment à la porte et d’attendre : elle passe assez rapidement aux coups de bélier. Et là, je la sens bien en train d’installer un canon de 105.
Forcément, ça va bien se terminer.