Selon la règle de ce prix l’artiste récompensé bénéficie d’une bourse qui lui permet de financer le projet qui a été approuvé par le jury. Son travail donne lieu à une exposition qui est présentée un an plus tard, donc en 2018 pour Claudine Doury avec Une odyssée sibérienne.
Dans son projet présenté au jury du prix, la photographe avait proposé de retourner sur les traces
de familles sibériennes extrêmes-orientales, nanaï, oultches et nivkhes,qu’elle avait rencontrées il y a plus de 20 ans, en 1991 et 1998 le long du fleuve Amour. Elle souhaitait ainsi témoigner à la fois du passage du temps sur ces familles photographiées alors, mais aussi des changements qui avaient pu s’opérer à plus grande échelle sur ces populations habitantde Khabarovsk à Bogorodskoye Ce qui m’a touchée c’est que son travail se situe entre le portrait intime et le témoignage sur des cultures encore vulnérables de peuples vivant à la frontière de la Chine. Ses photographies sont d’une immense simplicité et aussi d’une grande beauté. Le jour du vernissage quelqu’un a fait un lapsus en parlant de peintures tant certaines ressemblent à s’y méprendre à des natures mortes qui auraient été peintes à l’huile sur une toile. Mais cette artiste sait aussi dénicher l’humain et nous faire sentir le temps qui passe.Elle a saisi la lumière d’une séance de séchage de peaux de poissons, la baignade d’un papillon turquoise dans une bassine, un parking où viennent s’échouer des voitures bientôt recouvertes de neige …Elle nous offre aussi des instants presque surréalistes, un peu à la manière de ce que fait le cinéaste Emir Kusturica comme ce poisson que l'on s'imagine plonger.
Je me souviendrai longtemps de cet accordéoniste qui joue, seul au monde, dans une petite barque fragile, qui dérive au milieu du fleuve Amour. Elle m'a dit l'avoir surpris un matin, sans aucune préméditation de ce moment.
C’est beau. C’est rare. C’est authentique.
Ce sont au total une quarantaine de photographies inédites, des carnets photographiques réalisés au retour des voyages précédents de Claudine Doury sur l’Amour ainsi que des photographies d’archives permettant de mettre en perspective l’histoire de ces peuples et de ces cultures vivantes mais vulnérables que vous pouvez admirer. Vous pourrez aussi découvrir d’autres oeuvres de Claudine Doury, dans une galerie située 16 rue du Perche dans le 3ème, jusqu’au 1er décembre, elle aussi en accès libre et gratuit.
Claudine Doury, née à Blois, vit et travaille à Paris. Son travail aborde les notions de mémoire, de transition et de passage, notamment autour de l’adolescence et du voyage. Cette quête l’a menée en Russie, Ukraine, Ouzbékistan, Kirghizstan, à la découverte de peuples peu étudiés, voire inconnus. Dans Peuples de Sibérie, récompensé en 1999 par le prix Leica Oscar Barnack et le World Press Award, elle avait documenté la vie et les coutumes des minorités natives de cette région du monde. Cette série avait donné lieu à sa première monographie publiée au Seuil sous le même nom. Son travail se développa par la suite sur ces notions de transition et d’identité dans une approche à la fois artistique et documentaire. Elle reçoit en 2004, le prix Niépce pour l’ensemble de son oeuvre. Elle a publié quatre autres ouvrages monographiques : Peuples de Sibérie, Artek, Un été en Crimée (2004), Loulan Beauty (2007), Sasha (2011) et L’Homme Nouveau (2017). Elle est membre de l’agence VU.
Dans deux ans (parce que le Prix, créé en 2007 à l’initiative de Marc Ladreit de Lacharrière, change de temporalité et devient biennal) nous pourrons découvrir le travail qu'aura effectué la lauréate 2018 qui est encore (on a envie de dire une fois n'est pas coutume-hélas) une femme. Elle s'appelle Flore et posait à coté de sa consoeur sur la photo en haut de cet article.
Je signalerai que le jury avait sélectionné quatre finalistes et que Antoine Agoudjian, Ferhat Bouda et Guillaume Herbaut sont loin d'avoir démérité.
Après un premier travail photographique sur l’enfance indochinoise de Marguerite Duras incarné dans l’ouvrage Lointains souvenirs, Flore souhaite continuer à "inventer photographiquement" une Indochine où ses grands-parents ont vécu, en s’inspirant d’autres lieux que ceux évoqués précédemment.
Elle avait présenté au jury un projet intitulé L’odeur de la nuit était celle du jasmin où elle relatait que la concession avait été abandonnée, abandonnées aussi les terres du barrage, images et écrits mêlés, le livre fini, épuisé, réimprimé, épuisé encore, le temps avait passé et pourtant, les mots étaient toujours là, toujours présente-absente Marguerite. Il restait à dire ce ressac de Duras. (...) Il ne suffisait pas d’y aller, pour venir à bout de ce sujet là, il faudrait y revenir. Et peut-être y revenir encore.
Née en 1963, franco-espagnole, Flore vit et travaille à Paris Après avoir travaillé pour la presse pendant 10 ans, elle se consacre à son travail personnel à partir de 2008. Elle réalise des travaux au long cours, souvent lors de voyages qu’elle effectue notamment au Proche et au Moyen-Orient. Sa première monographie Une femme française en Orient est éditée en 2014 aux éditions Postcart et la série est exposée dans le cadre du Mois de la Photo. En 2016, le livre Lointains souvenirs, publié aux éditions Contrejour, propose une variation autour de l’enfance indochinoise de Marguerite Duras. En 2018, André Frère Editions publie Camp de Rivesaltes, lieu de souffrance.
Ses travaux sont présentés dans différentes institutions comme le Musée du Petit Palais, la BnF, le MMP+ de Marrakech, ainsi qu’à l’occasion d’Art Fair internationales, et de festivals.
Une odyssée sibérienne
A l’Académie des beaux-arts
Du 27 octobre au 25 novembre 2018
27 quai de Conti, à Paris dans le 6ème arrondissement
De 11 heures à 18 heures, en entrée libre