C’est dans ce point précis d’absence
que les oiseaux coulaient à pic dans l’oeil du vide
ailes et sang –
ils tournoyaient avant de couler dans le vide
dans le jour devenu plus grand qu’auparavant.
C’est dans ce point précis :
Tout finissait, les routes et les besoins humains,
je tenais une nuit nouvelle dans mes mains,
un phare cependant balayait mon visage,
le poumon s’essoufflait
parmi les voix j’ai vu des canots qui partaient
vers un pays sans paupières
ce n’était pas le temps mais un autre espace,
la lumière était si sourde où l’on marchait,
elle coulait de nos poches comme un sang noirci.
C’est dans ce point
que j’ai douté enfin de ma lucidité
en me voyant moi-même, mais détaché de moi.
Ce n’était pas la peur mais une autre joie,
ce n’était pas le bonheur mais une autre amertume,
et je criais honteux de m’entendre crier :
C’est dense !
Cette vie est-elle donc plus épaisse que l’autre ?
Ce désespoir est-il plus sage que l’espoir ?
C’est dans un monde sans rémission que j’avance,
c’est dans un monde sans retour que je m’enfonce,
c’est dans
un monde évanoui qui cherche sa matière,
et c’est un monde sans commencement ni fins,
un monde flamboyant dont la voix rauque crie :
C’EST.
***
Benjamin Fondane (1898-1944) – L’Exode (Super flumina Babylonis) (1942) – Le mal des fantômes