Les Animaux fantastiques : Les Crimes de Grindelwald. À la croisée des chemins du cinéma

Par Balndorn


Résumé : 1927. Quelques mois après sa capture, le célèbre sorcier Gellert Grindelwald s'évade comme il l'avait promis et de façon spectaculaire. Réunissant de plus en plus de partisans, il est à l'origine d'attaque d'humains normaux par des sorciers et seul celui qu'il considérait autrefois comme un ami, Albus Dumbledore, semble capable de l'arrêter. Mais Dumbledore va devoir faire appel au seul sorcier ayant déjoué les plans de Grindelwald auparavant : son ancien élève Norbert Dragonneau.
On pourrait comprendre les tensions esth-éthiques actuelles à Hollywood à travers Les Animaux fantastiques : Les Crimes de Grindelwald.Non que le film soit mauvais ou bon en soi. Mais précisément, sa médiocrité en fait un bon représentant de ce qu’implique l’omniprésence des effets spéciaux numériques dans les super-productions hollywoodiennes de ces dernières années.
Opsis versus mythos
Le premier volet de la nouvelle saga adaptée de l’œuvre de J. K. Rowling souffrait déjà d’une schizophrénie esth-éthique. On peut reprendre pour l’analyse les concepts d’opsis et de mythos que le philosophe et théoricien du cinéma Jacques Rancière a développés dans La Fable cinématographique. D’une part, les effets spéciaux numériques (ou CGI, pour Computer-generated imagery) ouvrent la voie à un espace fantasmagorique virtuellement infini, où l’image se suffit à elle-même. C’est la voie de l’opsis. Songeons, dans le premier épisode, au bestiaire merveilleux contenu dans la malle de Norbert Dragonneau (Eddie Redmayne), ou, dans le second, aux déambulations d’un lion-démon chinois à la queue en forme de ruban flottant. Pareilles séquences abolissent le temps efficace de la narration pour dessiner un moment de grâce, où seul compte le spectaculaire – au sens propre, ce qui se regarde.Mais dans le même temps, ces super-productions ponctuées d’instants sublimes s’emprisonnent dans le lourd carcan d’un récit caricatural. Les mécanismes narratifs couinent dans Les Animaux fantastiques ; si faibles, qu’on ne voit plus que leur inconsistance. C’est le mythos. Avec une telle imagerie démiurgique, on aurait pu rêver d’œuvres résolument poétiques, nourries de la contemplation fascinée de bêtes irréelles. Si l’on voulait rester délibérément narratif, ne serait-ce que pour guider le regard, on aurait pu envisager des scénarios minimalistes, de simples sentiers au détour desquels on découvre des merveilles. D’ailleurs, les pitchs des deux films semblent aller dans cette voie : le premier consiste à récupérer des animaux égarés dans New York, le second à se promener dans un Paris de légendes. Sur ces squelettes narratifs aurait pu croître la chair des rêves.Mais à Hollywood, le mythos l’emporte toujours sur l’opsis. Il faut, encore et toujours, gaver le spectateur d’actions, aussi stupides soient-elles. Alors, pour couper court aux rêveries, on force le trait, on construit arbitrairement des contextes, on tisse des relations inexistantes. La quête naturaliste de Dragonneau dans le 1 s’inscrit dans la traque contre Grindelwald et la répression des sorcier·e·s ; les histoires plurielles du 2 s’articulent mal entre elles, se percutent sans se rencontrer, forcées de coexister sous l’appellation générique des « Crimes de Grindelwald », qui ne correspond que très partiellement au ton de l’œuvre.
Une virtualité en attente d’accomplissement
C’est que les entrelacs d’histoires ont la cote ces dernières années. En particulier chez les films de super-héros, dont la transmédialité des univers multiplie les connexions narratives. Mais n’est pas Avengers : Infinity Warqui veut. Penser un univers signifie relier avec souplesse des éléments disparates. Ce en quoi échoue Les Crimes de Grindelwald, qui s’efforce laborieusement d’agglomérer des histoires singulières : le bestiaire de Norbert, la romance de Queenie (Alison Sudol) et Jacob (Dan Fogler), l’histoire malheureuse de Leta Lestrange (Zoë Kravitz), l’amour perdu de Dumbledore (Jude Law) et Grindelwald (Johnny Depp), l’identité de Croyance (Ezra Miller)… Bref, beaucoup trop de choses qui, tels les créatures de Norbert, manquent d’espace dans la malle et cherchent à s’en échapper.Chacune de ces histoires a son intérêt. Mais ainsi mélangée aux autres dans un scénario fourre-tout, elle se fragmente, se disloque, jusqu’à perdre son originalité. Aussi, le film fonctionne davantage comme un patchwork, agrégeant au fur et à mesure des tissus bigarrés – comme l’histoire de Leta, sortie de n’importe où au beau milieu du film –, au lieu de composer une œuvre harmonieuse, dans laquelle chaque élément répond à l’ensemble.Considérons Les Crimes de Grindelwald comme l’une de ses créatures. Un être hybride. Mi-raté, mi-réussi. Mi-monstrueuse, mi-merveilleuse. Une potentialité, une virtualité, dont on espère qu’une équipe talentueuse saura enchanter la riche matière à l’occasion d’un prochain film.

Les Animaux fantastiques : Les Crimes de Grindelwald, David Yates, 2018, 2h14
Maxime
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