AL : Dans une célèbre chanson, Patrick Bruel s'adresse à des amis de jeunesse et d'école et leur donne rendez-vous dans dix ans. Dans l'avant-propos de votre livre, vous évoquez votre jeunesse, quelques-uns de vos amis, et ce que aura représenté pour votre ancienne amitié le rendez-vous de l'élection présidentielle de 2007. Vous écrivez que, «au bout du chemin, je me pose surtout cette question : comment certains membres de notre petite bande d'amis ont-ils pu se rallier au choix de Sarkozy ?», et vous ajoutez que, «Nous avions sans aucun doute un tronc intellectuel commun mais, à l'évidence, il cachait quelques dissonances», avant d'ajouter : «Qu'ils se souviennent aussi, mes amis qui ont voté Sarkozy, que, pour les philosophes grecs dont les réflexions, il est vrai, sont désormais considérées comme obsolètes par les éminences intellectuelles médiatisées, la démocratie n'était pas une technique de domination mais l'art de la liberté, et que le but, désormais tout aussi périmé, de la politique, était de remédier à l'inégalité de la société pour permettre à chacun d'être ce qu'il pouvait être au mieux». Qu'en est-il aujourd'hui de vos relations avec ces amis que vous évoquez ? Est-ce que leur légèreté n'a pas été rendue possible par une formation scolaire finalement superficielle et parce qu'ils croient, depuis, être de grands esprits, alors qu'ils ignorent beaucoup le monde dans lequel ils vivent ? Ce mépris que vous évoquez, pour la pensée, n'est-ce pas en définitive leur choix, finalement un droit, et qui explique l'élection de Sarkozy ? Des individus, un peuple, ont le droit d'être petits, mesquins, non ? !
GR : Lorsque l’on est devenu agrégé de l’Université ou que l’on est passé par une grande école, on ne peut pas affirmer que le temps nous a vraiment manqué pour réfléchir. C’est l’honnêteté intellectuelle qui est ici en cause. Pour la généralité du peuple, s’il existe un droit, ce n’est pas le droit à l’ignorance mais celui de s’instruire. La liberté n’est pas la possibilité de faire et de penser n’importe quoi. Savoir penser, cela s’apprend. Bombardés de sottises, cerveaux mis à la disposition des annonceurs, que peut-on reprocher aux électeurs en général ? Il y a les manipulateurs, il y a les manipulés.
AL : Dans le chapitre «L'ordre de la nature», vous rappelez que, pour et selon Henri Laborit, «le problème central dans le cadre de l'organisation des sociétés humaines est bien, comme chez le rat de laboratoire, celui de la dominance et de la gratification hiérarchique». De ce point de vue, Nicolas Sarkozy n'incarne-t-il pas , par le physique et le comportement, du sujet obsédé par la volonté de domination et la valorisation-gratification ? Et est-ce que, depuis son élection, notre communauté française serait au niveau intellectuel puisque comportemental d'un troupeau de rats ?
GR : La conquête de l’Ouest en Amérique a suscité l’expression struggle for life. Le libéralisme, la droite, se sont directement inspirés de la formule et l’ont consacrée dans la pratique, par la loi du plus fort. Les plus forts, je parle ici de l’ensemble du pouvoir technocratique actuel, et les complices par pensée unique, nous considèrent effectivement comme des souris de laboratoires et nous manipulent comme tels. Un groupe de psychiatres a fait savoir qu’il allait se pencher sur le cas Sarkozy. Je ne suis pas psychiatre mais je crois qu’il ne faudrait surtout pas se contenter d’en rire : grand inventeur de subterfuges, avocat et manieur émérite de charabia, cet homme, est, politiquement, extrêmement dangereux.
AL : Vous rappelez cette conviction de Durkheim selon lequel «la solidarité est l'élément commun à toute existence sociale, propre à certaines espèces, dont les humanoïdes». Or, en votant pour N. Sarkozy, ses électeurs, électrices et donc certains de vos amis, ont voté contre la philosophie et la politique de la solidarité, mais par contre, lui sait être solidaire avec ses amis, puisqu'il a fait voter des lois, a adopté des principes de gestion, si on peut les nommer ainsi, qui ont favorisé ses amis fortunés. Finalement, M. Sarkozy n'est-il pas un homme d'une grande solidarité ? !
GR : Encore une différence entre la gauche et la mafia : pour la gauche, la solidarité concerne l’ensemble de la population ; pour la droite, seuls les membres de la famille sont solidaires entre eux, à la vie à la mort !
AL : Dans le chapitre «La Nature de l'Ordre», vous rappelez l'allocution dramatique de N. Sarkozy, à Dakar, dans son «Discours aux Africains», et vous évoquez une logique nazie. Par une telle évocation, vous nous invitez à nous rappeler de ce fut le dynamisme de ce «sens de la supériorité», de la part d'individus, comme Goebbels, Hitler ou Himmler, qui présentaient des tares dénoncées par le nazisme (petits, mal formés, bruns), comme a su le dire Chaplin dans «Les Temps Modernes». Cet homme blanc, ce blanc bec, d'où peut-il tenir ce sens de la supériorité qu'il éprouve, alors qu'il est si visiblement, moins fort, moins rapide ? Si nous regardons de près les modalités dans les conditions d'existence, ce qui semble différencier les modernes de ceux qui ne le sont pas, c'est que, dans les organisations ethniques archaïques, premières, celles de nos aïeux, personne n'est à l'écart, personne, pas même le chef, ne peut se retirer dans une sphère prétendument autonome, et personne ne peut instrumentaliser l'autre, alors que, avec l'aristocratie européenne, un principe a triomphé : ne pas travailler pour gagner plus. Est-ce que ce n'est pas du «haut» d'un esclavagisme international et mondial que ce petit homme blanc peut aller dire aux Africains qu'ils ne sont pas entrés dans l'Histoire, et dans ce cas, ne faut-il pas au contraire de lui les en féliciter ?
GR : Un petit garçon découvre un objet qui l’intéresse ? Il l’accapare sans chercher plus loin. Les conquistadores ont trouvé des objets en or ? pas de chance ! ils appartenaient aux Incas et aux Aztèques. Difficulté facilement surmontée : ces sauvages n’avaient assurément pas d’âmes, le massacre pouvait commencer. Hitler et consorts n’ont pas inventé le racisme : nous-mêmes avons eu nos aristos et nous avons toujours ces lignées inextinguibles (surtout depuis la réforme sarkozienne du droit des successions) de cette race des forts, entrepreneurs de haut vol, il faut bien le dire, ces Dassault, Lagardère et compagnie. Il faut surtout lire et relire Aimé Césaire résumant les théoriciens français du colonialisme et du racisme.
AL : A propos de ces Occidentaux qui croient sortir de la cuisse de Jupiter, vous écrivez que «complètement inconscients des réalités, la plupart des Français, et des Occidentaux en général, s'élèvent contre une énorme aumône gracieuse que feraient leurs gouvernements aux Africains et que ces derniers dilapideraient ! Pourtant, en 1988, les pays du Sud ont payé à ceux du Nord 43 milliards de dollars de plus qu'ils n'ont reçu ! De 1983 à 1990, le flux de capitaux du Sud vers les pays riches s'accélère : il atteint 150,5 milliards de dollars, soit deux fois le plan Marshall en dollar constant.» Cette vampirisation des moyens et des forces économiques mondiales, les citoyens l'ignorent. Car n'est-ce pas le train de vie des plus riches et même de toute la classe moyenne supérieure que nous ne voulons pas interroger, connaître ? Comment faire pour que ces chiffres, ces faits, ces vérités soient connus des citoyens et même soient incités à éprouver de la «repentance» ? Car finalement, nous pouvons dire que les pays occidentaux ont continué leur colonisation du monde, par d'autres moyens...
GR : La majorité des gens est, disons, cocardière. Lorsqu’on annonce que la plus grosse fortune française, celle de M. Arnault du groupe LVMH est entré dans le top 10 des grandes fortunes mondiales, les Français sont généralement satisfaits, même lorsqu’ils ne gagnent que le SMIC et alors que M. Arnault ne travaille pas on ne sait combien de millions de fois plus que le smicard et n’est pas autant de fois plus intelligent et cultivé. C’est l’ensemble du système, des mécanismes qui permettent cette extraordinaire disparité qui échappent au plus grand nombre. Il en est de même du pillage de l’Afrique. Au Rwanda, exemple typique, le FMI avait recommandé de remplacer les cultures vivrières par la monoculture du café puis les cours du café s’étant effondré, il recommanda l’arrachage des caféiers et une réduction drastique des dépenses publiques (tiens tiens !). Le pays était exsangue lorsque survinrent les massacres que l’on connaît, sous l’œil impavide des représentants de l’ONU et de son Haut Commissariat aux Droits de l’Homme. Le FMI et la Banque Mondiale, conseillers en humanisme, les grandes firmes pétrolières, les diamantaires, les firmes utilisatrices d’uranium, d’or, de bois vident en effet l’Afrique de son sang. Elles y réussissent souvent hélas ! avec la complicité des autorités locales qu’elles corrompent sans scrupule. Avec l’abominable spéculation sur les produits alimentaires, l’Afrique pourrait bien commencer une douloureuse agonie.
AL : Il y a peu, M. Fillon, à défaut d'avoir des résultats et des preuves d'une réussite économique, fanfaronnait, en affirmant la victoire idéologique de la droite. Mais vous nous expliquez que «toute la métaphysique de droite, la pensée de droite, la notion d'Ordre» tiennent en des «idées pures sans relations avec le monde : le Mal, le Bien, les Bons, les Méchants, (...) les Courageux, les Fainéants, les Assistés, ...». Le succès relatif de cette pensée ne tient-elle pas à sa profonde bêtise ? Plus c'est simple, plus c'est facile à comprendre, et plus c'est faux, mais les grosses ficelles ne font-elles pas les meilleures soupes ? *
GR : Quoi que l’on pense des sondages, il ne semble pas que les ficelles marchent particulièrement bien. Le problème est que, que la ficelle soit spectaculaire ou pas, la caravane passe. On a beau se dire non, c’est trop gros ! les députés de droite votent, sauf moment de distraction, comme un seul homme. Dans moins de 4 ans on va donc se retrouver avec un code du travail réduit à sa couverture, la sécurité sociale démantelée, des Facultés privatisées, des médias aux ordres, les Français travailleront plus pour gagner moins, etc. Il y a pire, vous avez raison, les concepts bons, méchants etc. trouvent un écho dans l’opinion imbibée de culture religieuse où la Grâce et la Providence sont la source des caractéristiques de chaque individu qui justifient un individualisme de plus en plus prégnant. Il s’agit bien, pourtant, d’une conception stupide, comme est grotesque, pour la génétique, de concevoir un gène de la bonté ou de la méchanceté. La vie est mouvement, les gênes eux-mêmes, dixit Axel Kahn, ne sont pas aussi statiques qu’on a pu le penser. La dialectique : oui-non-oui et non, est sans doute plus compliquée que la mécanique binaire mais je suis bien persuadé que tout instituteur pourrait l’enseigner. L’Enseignement serait-il à un autre service que celui du peuple ?
AL : Vous écrivez que «En réalité, comme l'explique Serge Halimi : «Effondré le mur de Berlin, estompé le péril rouge, les nouveaux Bourbons revenus dans les fourgons de la mondialisation comme d'autres revenaient de Coblence, la terreur blanche dans les yeux» s'empressent simplement de prendre leur revanche sur un mouvement ouvrier...». Mais est-ce que, depuis 1789, comme depuis 1944, le pouvoir politique, je ne parle même pas du pouvoir économique, n'a t-il pas toujours été, EN PERMANENCE, entre les mains de la grande bourgeoisie ? Et dans ce cas, notre époque serait simplement celle d'une visibilité un peu plus grande quant à la réalité de ce contrôle du pouvoir, des pouvoirs ? Et n'est-ce pas là que se situe le véritable échec de la gauche, après 81, son incapacité à prendre le pouvoir dans l'Etat, au sein duquel, fonctionnaires, haut-fonctionnaires, se trouvaient des traîtres au peuple, mais par contre des serviteurs zélés des puissants ? Je rappelle que, dans son ouvrage, «Le choix de la défaite», Madame Lacroix-Riz démontre que, au cours de la période du Front Populaire, des hauts fonctionnaires n'ont pas servi le gouvernement, ni la majorité élue, mais des interêts particuliers, privés, puissants. Vous écrivez : «C'est ainsi que, fleuron des grandes écoles de la République, la petite élite qui parvient aux postes de décision doit aujourd'hui montrer qu'elle a assimilé et admis les dogmes et les doctrines spécifiquement conçus pour elle au servir des valeurs du couple que forment le monde des affaires et l'Etat. Pour sortir de ces écoles-là avec un diplôme, il faut avoir travaillé, certes, et pour obtenir les meilleures places et les plus importants portefeuilles, il est nécessaire d'avoir compris ce que veulent le patronat, les banques, les fonds de pension, (...) il faut être disposé à couper des têtes par milliers sans le moindre battement de cils»
GR : Je relève un petit détail d’importance : le seul moment où « la gauche » eut un impact remarquable sur la société fut le gouvernement du Front Populaire comprenant des communistes (hormis le passage éclair de ces derniers avant le virement libéral de Mitterand). Certes, on peut se satisfaire grandement de l’abolition de la peine de mort et des 35 heures. Néanmoins, le PS est composé en majorité, et surtout gouverné, par de petits et grands bourgeois, au surplus tous technocrates. On ne saurait en attendre que de brefs sursauts sporadiques remis en cause lors des élections suivantes du fait de la recherche des voix de tous bords et de l’absence de perspective à long terme. Aucun souffle ! A tout le plus vote-t-on pour le moins pire, et le moins pire n’a jamais relevé d’une quelconque ambition vivifiante ni donné de résultats à long terme.
AL : Quelle est, selon vous, le trait que l'on peut tracer, malheureusement, entre Darquier de Pellepoix, le commissaire général aux Questions Juives, jusqu'à Brice Hortefeux, l'actuel Ministre de l'Immigration ?
GR : On peut remonter un peu plus loin. La colonisation de l’Algérie a commencé en 1840 Tout au long de la IIIème République, les discours et conférences du monde politico-littéraire faisaient déjà état de la supériorité de la civilisation occidentale. Malgré Champolion, on faisait l’impasse sur l’invention de l’arithmétique et de la géométrie par les Egyptiens, exit, de même, la découverte de l’astronomie par les Assyriens, la naissance de la chimie chez les Arabes, l’apparition du rationalisme au sein de l’Islam, le premier code juridique écrit à Babylone, en Mésopotamie, à une époque où la pensée occidentale avait une allure furieusement préhistorique et où le Gaulois traînait sa femme par les cheveux pour entrer dans sa hutte ! Je ne résiste pas à citer Joseph de Maistre : « Il n’y avait que trop de vérité dans ce premier mouvement des Européens qui refusèrent, au siècle de Collomb, de reconnaître leurs semblables dans les hommes dégradés qui peuplaient le nouveau monde… On ne sauraient fixer un instant ses regards sur le sauvage sans lire l’anathème écrit, je ne dis pas seulement dans son âme, mais jusque sur la forme extérieure de son corps. » Je ne peux, non plus, oublier M. Jules Romains, de l’académie française : « Il m’est arrivé d’avoir en face de moi une rangée de d’une vingtaine de Noirs purs… les évocations qui vous viennent à l’esprit vous ramènent plus près de la forêt équatoriale que de la procession des Panathénées… La race noire n’a encore donné, ne donnera jamais un Einstein, un Stravinsky ou un Gershwin. » Pour faire la nique à ce beau monde citons Césaire : « quatre-vingt-dix mille morts à Madagascar ! L’indochine piétinée, broyée, assassinée, des tortures ramenées du fond du Moyen-Age ! Et quel spectacle ! Bidault avec son air d’hostie conchiée – l’anthropophagie papelarde de Sainte-Nitouche ; Teitgen, l’Aliboron du décervelage ; Coste-Floret… Inoubliables messieurs !… » Et M. Mitterand, Ministre de l’Intérieur du temps de l’Algérie ? L’ami de Bousquet et peut-être d’Osaresse… De Collomb à Pétain et de Mirepoix en passant par Hitler jusqu’à Sarkozy et Horteffeux, la lignée est longue et directe.
AL : Vous écrivez que «les privatisations ne sont rien d'autre que le partage d'un butin entre vassaux». Ne faudrait-il pas rendre public les noms de celles et ceux qui, ces 20 dernières années, ont acheté la France, achètent la France et ses bijoux de famille ? Et enfin, ne s'agit-il pas, sous couvert d'achats, de vols, puisque les biens et les actifs ont souvent été financés par le Trésor Public, avec l'argent du peuple ?
GR : Mais les noms des acheteurs sont bien rendus publics ! même s’ils se cachent quelquefois derrière les dénominations de leurs sociétés. Toutes les hautes lignées sont là, en maraude. La fine fleur de la finance française, européenne, mondiale. Les périodiques économiques en dissertent autant que de la question : qui va manger qui ? L’école même est dans le collimateur, non seulement par son inféodation décidée aux entreprises et à leurs désirs mais également par ses commandes de matériel informatique, processeurs et logiciels. Les entreprises publiques fonctionnaient, pour certaines, à perte, afin que toute la population puisse y avoir accès. Après privatisation, seule une élite peut y accéder et il résulte que, non seulement le bien à la construction duquel ils avaient participé leur est réellement volé mais qu’il ne peuvent plus bénéficier du service qu’il leur rendait. Ce n’est pas du dogmatisme de dire que c’est la République qu’on assassine : liberté ? égalité ? fraternité ?
AL : Vous rappelez que M. Rocard, premier ministre réputé de gauche, qui a abaissé l'impôt sur les sociétés de 50% à 34,3% ? Est-ce que ce n'est pas un élément qui prouve que le parti socialiste est victime d'un entrisme permanent de la part de la grande bourgeoisie parisienne afin d'empêcher une véritable politique de gauche ?
GR : Oui, c’est de notoriété publique.
AL : Vous rappelez que, alors que les hordes nazies s'apprêtaient à déferler sur la France, l'Europe et l'Afrique, Serge Tchakhotine, publiait en France «Le viol des foules par la propagande politique», censuré deux fois par un Etat qui, faut-il le rappeler, était tombé aux mains des cagoulards et de la synarchie, un ouvrage qu'il avait dédié «au génie de la France à l'occasion du cent cinquantième anniversaire de sa Grande Révolution.» Un tel ouvrage qui paraît dans un tel moment, n'est-il pas le signe que l'intellectualisme peut être brillant, il est, les intellectuels sont toujours en retard de l'Histoire, sans être capables de l'influencer dans le bon sens ? Est-ce que nous ne pâtissons pas aussi d'un certain narcissisme dans le monde intellectuel, alors que, si nous ouvrons les yeux, le monde qui nous entoure ne cesse de nous mettre en échec ? Ne serait-il pas temps d'organiser de grands rassemblements d'intellectuels pour mener ensemble de vrais brainstormings afin de faire sortir de ces débats des pistes d'idées et d'actions nouvelles et sérieuses ? Car je ne sais pas vous, mais pour ma part, je ne me résous pas à cette impuissance de ceux qui pensent face à cette puissance de ceux qui, trop visiblement, ne pensent pas, mais sont par contre des experts en manipulation...
GR : Les savants ont tendance à douter, les politiques se fient à leurs simples convictions et de quelque bord qu’ils soient, ils ont toujours dû accepter de plus ou moins se salir les mains. Je ne suis pas convaincu qu’un gouvernement de savants, à supposer qu’existent des volontaires, ne soit rapidement débordé par les scrupules lorsque doivent être prises des décisions d’urgence. Des universitaires se sont engagés, comme Luc Ferry, ils ne font généralement pas de vieux os en politique. Des associations de chercheurs existent mais toujours séparées par spécialités. Un site est passionnant à l’adresse : terra.rezo.net. Que faire ? Question historique ! Créer ou adhérer à un parti politique, adhérer à un syndicat, faire de l’entrisme soi-même et partout, associations de quartiers, de parents d’élèves etc. Faire entendre sa voix. Quelquefois on rencontre des gens qui pensent comme nous : ça rassérène un peu…
AL : Tout le chapitre «Les hérauts sont fatigués» est consacré à ce que j'appelle la catastrophe médiatique : degré zéro de l'information, partialité, mensonges, manipulations, etc. Où en sommes-nous, et que préconisez-vous contre cette situation cauchemardesque ?
GR : Les pays du bloc socialiste avaient nationalisé l’information, les Français, aujourd’hui, en privatisent une partie et mettent la télévision publique sous la coupe directe et pressente du Président de la République duquel elle dépendra financièrement puisque la publicité y sera restreinte de façon drastique. En réalité, et après cette nouvelle mise en scène, il semble qu’à terme la télévision publique soit amenée à disparaître. Pour le financement, on aurait pu indexer une taxe, soit aux revenus soit à la taxe d’habitation. Une solution équitable aurait pu être trouvée. Une fois que j’ai dit ça, je sais, je peux toujours aller boire un pastis pour me rafraîchir les idées. Le problème de la soit-disant possible « objectivité » de l’information, nécessaire à toute manipulation, il serait nettement plus honnête que les présentateurs indiquent d’emblée pour quelle tendance politique ils roulent. A mon avis cela n’enlèverait rien à l’audience, obligerait à une connaissance sérieuse des sujets et faciliterait tous les débats. Au surplus, cela pourrait nous dispenser de la présence sur certains plateaux de niais et de gourdes, aventuriers des soirées parisiennes, qui se permettent, sans avoir l’air d’y toucher, de faire de Hafez el Assad l’assassin prédéterminé de Hariri, et de Hugo Valdès un antisémite notoire.
AL : Et pour terminer, faut-il recréer le Conseil National de la Résistance ? Pourquoi serions-nous justifiés pour parler publiquement d'une telle Résistance ?
GR : Si notre but est d’installer au pouvoir un mouvement anti-capitaliste, il est nécessaire, sauf à passer pour de doux rêveurs, d’établir un programme politique précis. A l’occasion du soixantième anniversaire de l’adoption du programme du CNR, quelques survivants comme Lucie et Raymond Aubrac, Germaine Tillon, décédée depuis, d’autres résistants, et l’association Attac, ont lancé un appel qui faisait un parallèle entre le néocapitalisme et les puissances d’argent mises au service de l’occupant nazi dénoncées dans l’appel originel et dont De Gaulle lui-même disait que ces puissances d’argent avaient eu à choisir entre leurs propriétés et la Nation et qu‘elles avaient choisi leurs propriétés. C’est aujourd’hui à marche forcée que ce programme est dépecé. Nous n’avons évidemment rien à calquer mais l’ensemble du programme peut être pris pour modèle sur le fond, et servir, peut-être, pratiquement, en période de transition. Et on peut parler d’urgence : la France est occupée par une puissance qui n’est là que dans son seul intérêt : tondre la laine du dos des citoyens ; une puissance étrangère : le capitalisme mondialisé et ses lignées françaises de collaborateurs. Oui, il faut le hurler : Résistance ! Ne pas se laisser entraîner dans le courant de plus en plus violent qui nous aspire dans le tourbillon glauque d’une pseudo pensée unique, négation de la pensée, dont les mots se vident de sens au point que lorsque Sarkosy fait l’éloge de Jaurès, il faut traduire qu’en réalité il va pisser sur sa tombe !
au cas où le lecteur ou la lectrice ne l'aurait pas compris, l'auteur de ces questions fait de l'ironie...