" Alors ne me refusez pas de me dire l'objet, je vous en prie, de votre fièvre, de votre regard sur moi, la raison, de me la dire ; et, s'il s'agit de ne point blesser votre dignité, eh bien, dites-la comme on la dit à un arbre, ou face au mur d'une prison, ou dans la solitude d'un champ de coton dans lequel on se promène, nu, la nuit ; de me la dire sans même me regarder. Car la vraie seule cruauté de cette heure du crépuscule où nous nous tenons tous les deux n'est pas qu'un homme blesse l'autre, ou le mutile, ou le torture, ou lui arrache les membres et la tête, ou même le fasse pleurer ; la vraie et terrible cruauté est celle de l'homme ou l'animal inachevé, qui l'interrompt comme des points de suspension au milieu d'une phrase, qui se détourne de lui après l'avoir regardé, qui fait, de l'animal ou de l'homme, une erreur du regard, une erreur du jugement, une erreur, comme une lettre qu'on a commencée et qu'on froisse brutalement juste après avoir écrit la date. " Extrait de " Dans la solitude des champs de coton " publié aux Editions de Minuit
Bernard-Marie Koltès est un auteur dramatique français né en 1948. Il est notamment connu pour ses collaborations foisonnantes avec le metteur en scènePatrice Chéreau qui mit en valeur les mots intenses et écorchés de ce dramaturge qui sut si bien dire les désordres de l'âme, les destins immobiles qui crachent du feu et les passions mutiques qui altèrent les coeurs. Bernard-Marie Koltès a découvert sa passion pour le théâtre en voyant sur scène Maria Casarès dans Médée. Cette prestation de la grande tragédienne fut à l'origine du déploiement de sa plume. Les textes de Bernard-Marie Koltès sont publiés aux des publications que l'on doit à Jerôme Lindon qui fut sensible à son vibrato pour exprimer l'incommunicabilité entre les êtres. Bernard-Matie Koltès est décédé des suites du sida en en 1989.