Ce même mouvement se retrouve dans la liberté morale, dans la reconnaissance de l'autre. Quand je choisi l'autre à mes dépends, je nie mon être-comme-corps. Je me transcende, je passe de l'être au néant.
La haine et la peur elles-mêmes en témoignent : quand je mets ma vie, mon être, en jeu dans une lutte à mort, j'accompli ce même geste de dépassement de soi qui est l'essence même de la conscience, de l'acte conscient.
Il n'est pas jusqu'à la perception qui ne consiste dans ce mouvement de transcendance : quand une perception en remplace une autre, c'est une vie, une mort et une renaissance, un passage de l'être au néant et une transcendance. Mais comme tout chose a son opposé, cette transcendance ne fait sens qu'en relation à son opposé, l'immanence. La conscience se transcende, se jette dans l'autre, mais cet autre est en soi. Son existence, c'est son extase, son acte de se jeter dans le néant, au-delà de son être, de le viser encore et encore, mais cet Autre est aussi Soi. N'est-ce pas cela que l'on sent dans l'amour ?Par ailleurs, cette vision dialectique permet d'intégrer les découvertes de la science en même temps qu'elle complète le fonctionnalisme d'un Dennet, mais aussi l’interdépendance bouddhiste.j'aimerai finir ce billet en citant un texte extraordinairement profond d'un ancêtre tombé dans l'oubli, Octave Hamelin. Dans son oeuvre majeure l'Essai sur les éléments principaux de la représentation, parue en 1907, alors que son auteur trouvait la mort en tentant de porter secours à deux hommes emportés par une rivière, Hamelin expose avec rigueur et force que la Relation est la Source de tout :"La méthode analytique [=celle qui cherche la Source de tout], en éliminant par degrés toute la complexité du monde, doit arriver, en fin de compte, à un élément simple à la rigueur.
Mais qu'on prenne pour élément ultime l'être parfaitement pur et vide ou même, si l'on veut, le néant, ni l'un ni l'autre ne présente la simplicité absolue qu'on devrait atteindre.
En effet l'être exclut le néant et le néant exclut l'être, mais il est impossible de trouver aucun sens à l'un ou à l'autre hors de cette fonction d'exclure son opposé.
Or que faut-il induire de là ?
C'est, sans doute, que chaque chose à son opposé ; car nous venons de considérer le cas le plus favorable possible à la découverte d'un simple absolu. Nous admettrons donc comme un fait primitif, qu'on peut présenter de diverses manières, mais qui toujours, semble-t-il, s'impose avec une force singulière : que tout posé exclut un opposé, que toute thèse laisse hors d'elle une antithèse et que les deux opposés n'ont de sens qu'en tant qu'ils s'excluent réciproquement.
Mais ce fait primitif se complète par un autre qui ne l'est pas moins.
Puisque les deux opposés n'ont de sens que l'un par l'autre, il faut qu'ils soient donnés ensemble : ce sont les deux parties d'un tout...
Ainsi aux deux premiers moments que nous avons déjà trouvés dans toute notion, il faut en ajouter un troisième, la Synthèse. Thèse, antithèse et synthèse, voilà dans ses trois phases la loi la plus simple des choses.
Nous la nommerons d'un seul mot, la Relation." (PUF 1952, p. 1, ici en version pdf)Magistral !Nous avons là une présentation magnifique de la pensée inclusive, ternaire, formulée par Proclus (Ve siècle), reprise par les Chrétiens, illustrée par Charles de Bovelles jusqu'à Hegel.Tout est acte car la relation est acte. L'acte reste insaisissable. Son objet est saisi, non l'acte lui-même, car au fond, acte est synonyme de conscience et de pur subjectivité. On pressent mieux, du même coup, le rôle essentiel du désir, de l'Amour et de la Haine et autres noms, autant de déclinaisons de la Relation primordiale.En Inde, sa forme la plus aboutie est la philosophie de la Reconnaissance.