David Lefebvre le néo réalisme 2.0

Publié le 21 septembre 2018 par Thierry Grizard @Artefields

David Lefebvre décomposition et fracturation


David Lefebvre, artiste peintre, orphisme | Publié le 16 janvier 2016, modifié le 21 octobre 2018 par Thierry Grizard.

David Lefebvre, la figuration en délitement

David Lefebvre, ( né en 1980), est un jeune artiste peintre grenoblois qui élabore d’étranges scènes dont presque exclusivement des paysages alpestres soumis à un étiolement de réalité insidieux se propageant inéluctablement.

©David Lefebvre. Courtsey galerie Zürcher

La facture de David Lefebvre s’inspire, voire mime ironiquement, des « styles » picturaux qui rappellent la peinture réaliste, en particulier Gustave Courbet, mais aussi l’architectonique de Cézanne. Quant aux motifs ils semblent citer, et la peinture romantique, tout particulièrement Caspar David Friedrich, et  à nouveau Gustave Courbet voire certains représentants de l’Ecole de Barbizon.

Compositions et décompositions

Les toiles du peintre français sont très composites, dans la mesure où, par-delà l’apparente peinture de paysage, il s’agit avant tout d’une peinture syncrétique de citations et de mise à l’épreuve de ce que peut figurer la peinture contemporaine. La « belle » unité est donc systématiquement brisée par des ruptures « stylistiques » faisant coexister l’abstraction (l’Orphisme, le Rayonnisme) et la figuration imitative (le Réalisme) ou analytique (Cézanne, le cubisme). L’expérience du tableau mener par David Lefebvre ne se limite cependant pas à la seule combinatoire des discours picturaux du passé. En effet, le tableau est avant tout considéré en tant que représentation, en tant qu’il est une image (une transcription) du monde physique et de sa perception. Dès lors la démarche du peintre s’assimile aux approches menées, parmi d’autres courants, par l’Ecole de Düsseldorf autour de la photographie et de la reproductibilité. Le sujet est donc à la fois le paysage comme pratique picturale, mais aussi et surtout la mise en image du « monde ». A l’instar d’un Thomas Ruff David Lefebvre exhibe la structure même de l’image contemporaine du monde, c’est-à-dire du réel à l’âge numérique. Le pixel et le réel algorithmique font irruption dans la matière et la surface picturale. Cependant le propos ne se cantonne pas à ce seul aspect, hormis les plans de réalité tels que la fenêtre picturale les reproduit, la lumière elle-même et sa figuration sont centrales dans la parcours de David Lefebvre.

Un nouvel orphisme

« Peindre» la lumière consiste à la décomposer en juxtaposant simultanément les couleurs, jusqu’à suggérer dans une certaine mesure les longueurs d’onde. En somme, un orphisme renouvelé à l’âge numérique. Mais précisément la lumière qui donne à voir le réel n’est pas ici celle de la Nature ou tout du moins de sa perception simultanée/composite comme le comprenait Robert Delaunay.  Il s’agit exclusivement d’images (numériques) du réel, ou plus précisément d’images-de-paysages, en l’occurrence en perdition, d’où les intrigantes contaminations de taches obscures, faisant penser à des trous noirs. Ces « champs gravitationnels » sont tels des réserves de pénombre qui absorbent la lumière et déstructurent les éléments constitutifs de la représentation. Une figuration de paysage à tonalité romantique ou pré-impressionniste qui installe avec ironie le paradoxe de faire du paysage pour mieux saisir la googlelisation universelle. Nous sommes dans l’écart critique du Pop Art. En faisant glisser les signes d’un registre à l’autre on perturbe la grammaire générale du « discours » pictural et plus largement de la représentation.

Par ailleurs, la brillance générale des images, toujours un peu laiteuses, surexposées en terme photographique, confirment l’idée que nous sommes devant des « captures » d’écrans étendus (notre regard « cultivé »), des reproductions, sans lieu ni identité, démultipliées du réel tel qu’il défile sur la trame numérique. L’image peinte évoque donc l’incandescence électrique des interfaces informatiques, ces nouvelles fenêtres.

©David Lefebvre. Courtesy galerie Zürcher

Peinture, virtualité et ironie

En contre-point de ces remplissages ou irruptions incongrues il y a une volonté évidente d’exhiber le processus de “fabrication” des images, en circonstance des images peintes. Mais le jeune artiste français procède comme si il s’agissait d’image synthétiques. Il ne décompose donc pas le pictural en tant que tel mais l’image numérique du réel et de manière totalement paradoxale à travers un genre éminemment pictural, le paysage. Il utilise un médium ancestral, presque artisanal, à l’exécution lente, pour se confronter à des questions gravitant autour de la virtualité, l’itération et l’homonymie proliférante.

L’œuvre de David Lefebvre est donc une peinture de l’ironie, voire de la facétie, dans l’héritage direct du Pop Art. On perçoit bien aussi le tribut du peintre aux boucles de la représentation que Gerhard Richter a explorées en particulier dans ses Photo-painting ou ses toiles à l’hyperréalisme flou. On est de manière évidente dans le post-internet. C’est-à-dire, pour faire court, dans l’ère de l’image déferlante, sans référent, détournée ou dégradée.

©David Lefebvre. Courtesy galerie Zürcher

Polysémie et syncrétisme

David Lefebvre joue donc sur les registres et les styles pour interroger le statut de l’image. C’est une des problématiques récurrentes de la modernité mais aussi celle de l’ère numérique qui au-delà de la représentation pose la question du virtuel et son interaction avec la « vision » de notre environnement. David Lefebvre peint des scènes qui sont comme les collages d’un momentum, celui de notre « navigation » permanente entre le quotidien, le dématérialisé et une culture totalement hétérogène, associative, polysémique.

Éboulement cézannien et entropie figurative

Les dernières œuvres du peintre, dont des céramiques, s’acheminent vers une étape supplémentaire de la fracturation des images et de la décomposition des couleurs du réel virtualisé. En effet, des éboulis de gros rochers aux géométries grossières texturés de manière cartonneuse envahissent les paysages aux connotation toujours romantiques. La ruine de la figuration du paysage se propage, non seulement les plans se disloquent, la lumière-couleur poursuit son délabrement, mais les rochers apparaissent aussi bien comme tels qu’à l’image de minéraux gigantesques à l’échelle parfaitement aberrante dont certains révèlent leur structure interne labyrinthique et mordorée.

Quant aux céramiques elle permettent à David Lefebvre de donner une vision en volume du délitement généralisé qui est à l’œuvre dans son travail sous forme, stricto sensu, d’éclats de mosaïque mais également de motifs spiralés.

© David Lefebvre

L’entropie gagne donc du terrain dans la dialectique complexe qui régit la peinture de David Lefebvre, la géométrisation synthétique à la manière des cubistes compromet la semblance des objets figurés, la recomposition post-orphique de la lumière des images artificielles diffracte les plans de réalités et enfin, comble de l’entropie, le noir mat des réserves picturales absorbe tout comme un champ gravitationnel résorbant la toile.

© David Lefebvre

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