Les rayons de nos supermarchés sont de plus en plus gagnés par la volonté croissante d’une certaine visibilité voire d’une transparence totale en matière d’étiquetage. En effet, de nombreuses informations quant à la composition du produit, sa qualité ou encore sa provenance sont davantage explicitées comme le prouvent la profusion de labels existants dont les plus connus sont sûrement le label bio ou vegan. Si les supermarchés et industriels s’efforcent d’être si transparents sur l’étiquetage, c’est en raison de l’exigence grandissante des consommateurs, comme le souligne avec beaucoup de précisions une étude réalisée par Optem et diligentée par la direction générale de santé et de la protection des consommateurs de la Commission européenne. Celle-ci semble mettre en évidence le besoin réel des consommateurs sur la traçabilité du produit pour de multiples raisons, dont l’éthique, qui apparaît être un critère important. Cette étude vient corroborer une plus récente, livrée en 2017 par le laboratoire GAEL (INRA-Université de Grenoble) qui abonde dans ce sens et explique que 33% des achats sont effectués en fonction de l’origine du produit. Dans ce contexte de plus grande transparence, les consommateurs donnent l’impression d’avoir conquis un terrain pourtant complexe, et semblent imposer leurs volontés en échange de leur monnaie. Ainsi, une véritable stratégie entre les entreprises et les consommateurs s’exerce aux conséquences économiques réelles, les premiers décidant de révéler ou non certaines informations, les seconds en boycottant diverses marques et produits.
Le cas d’école israélien
Cette stratégie entre ces deux différents acteurs s’opère largement et est à maintes reprises utilisée comme l’actualité le souligne bien souvent. En effet, en mai et juin dernier, plusieurs consommateurs se sont insurgés contre de nombreuses chaînes de grandes surfaces, suscitant une fois de plus, une vive polémique. La raison est pourtant simple et surtout elle n’est pas nouvelle : l’étiquetage de produits indiqués en provenance d’Israël qui seraient en réalité issus des territoires occupés palestiniens. C’est dans une vidéo parue sur les réseaux sociaux, qu’un homme qui se présente comme musulman, se filme en sommant de faire retirer les dattes au rayon des fruits secs, puisque ces dernières viendraient d’Israël, pays qu’il juge « colonisateur ». Cet incident qui a lieu dans un magasin Carrefour des Yvelines est le premier d’une longue série, puisque cette démarche contagieuse sera reprise Au Grand Frais de Décines, dans la région de Lyon, pour les mêmes motifs, « dattes de l’occupant, très certainement cultivées en Cisjordanie occupée » mais « non étiquetées ». La force de l’expression « le client est roi » semble pouvoir ici se mesurer, puisque dans de nombreuses chaînes, les produits sont immédiatement enlevés, et non remis, à quelques exceptions près. Cependant, malgré cette apparente victoire des consommateurs, nombreux sont ceux qui dénoncent et voient dans ces agissements, un appel au boycott, désormais illégal en vertu des articles 225-1 et 225-2 du Code Pénal. C’est le cas du président du Bureau national de Vigilance contre l’antisémitisme (BNCVA), Sammy Ghozlan, qui à la suite de nombreuses sollicitations de clients du groupe Carrefour a déposé deux plaintes contre ces actions menées. Il souligne, par ces plaintes déposées, que ces opérations sont considérées comme de graves entraves « discriminatoires à l’exercice normal d’une activité économique » (art. 225-2, 2 Code Pénal). En effet, même si les relations commerciales entre la France et Israël sont relativement bonnes, avec une réelle croissance des exportations et des importations entre ces deux pays depuis ces dernières années, il est évident que ces actions menées par des consommateurs, pour la plupart partisans de la campagne internationale BDS (Boycott, Désinvestissement et Sanctions) contre les produits israéliens, assurent des pertes économiques et ternissent l’image du pays et de ce qu’il produit. C’est pourquoi, le président du CRIF, Francis Kalifat réclame avec insistance l’interdiction de ce mouvement, que beaucoup juge en outre antisémite. Ainsi, la stratégie établie par les consommateurs partisans de ces actions est extrêmement réfléchie, et n’est pas seulement fondée sur un argumentaire simpliste. Plusieurs moyens sont donc employés afin de parvenir à davantage de transparence en matière d’étiquetage. En effet, ces derniers ont largement recours à des campagnes de publicité, à des manifestations dans de nombreuses chaînes de supermarché qui ont pour but de sensibiliser principalement les consommateurs à la cause palestinienne, afin de leur faire prendre conscience de la véritable provenance de chaque produit. La sensibilisation est donc un point central, de là découle tout l’enjeu qui est de diminuer voire d’éradiquer les achats de produits issus ou étiquetés israéliens.
Les marges de manœuvre offertes par la législation sur l’étiquetage
Outre cette sensibilisation sur l’étiquetage et la provenance d’un produit, cette dernière souhaite rappeler aux consommateurs les droits dont ils bénéficient, tel que le règlement n°1169/2011 dit INCO datant de novembre 2011 sur l’information des denrées alimentaires qui ne doit pas induire le consommateur en erreur quant au produit qu’il souhaite acheter. Le rapport de force n’est donc pas simplement économique, même si les pertes économiques pour les entreprises et chaînes de supermarché semblent évidentes, mais s’inscrit aussi dans une bataille juridique. Ainsi, afin de mener ses actions à bien, le mouvement BDS s’appuie sur la législation française extrêmement précise sur l’étiquetage de produit issu d’Israël et impose des « mentions d’étiquetage qui doivent être loyales » (JORF n°0273 du 24 novembre 2016, texte n°81). Cette législation, comme elle le mentionne, s’appuie sur le droit international et rappelle que celui-ci ne reconnaît pas le plateau du Golan et la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est comme faisant partie intégrante d’Israël. En conséquence, la législation française et de l’Union européenne exige toutes deux de mentionner entre parenthèses, « l’expression « colonie israélienne » ou des termes équivalents ».
Ainsi, l’affaire présentée semble assurément gagnée par les consommateurs qui sont aujourd’hui de plus en plus protégés par la loi, imposant une traçabilité des produits de plus en plus exigeante. Pourtant, si ces derniers paraissent être les vainqueurs de ce rapport de force, c’est principalement dans la mesure où celui-ci conjugue différentes dimensions, économiques, mais aussi géopolitiques, juridiques et mêmes religieuses. En effet, la bataille entre ces deux acteurs, avec de réelles conséquences économiques (images négatives, appel au boycott) pour Israël n’est que le reflet d’une bataille plus large et plus complexe d’un rapport de force géopolitico-religieux du conflit israélo-palestinien. Toucher à l’économie et à ses rouages est un moyen extrêmement subtil pour affaiblir un adversaire et ternir son image, outre l’arsenal juridique. Cependant malgré cette législation qui se présente comme précise et qui paraît protéger davantage les consommateurs, la résurgence de batailles juridiques en France quant à l’étiquetage de produits issus d’Israël ne semble pas diminuer et la récente question posée par la Cour de Cassation à la CJUE pour un éventuel « excès de pouvoir », et l’attente de son avis est une preuve ultime que la loi n’est pas fixée définitivement ou du moins qu’elle puisse s’exercer à géométrie variable.
Thérèse Buchmüller
Sources :
Commission européenne, Direction générale Santé et Protection des consommateurs, Étude Optem, 2005.
Alim’agri, Étiquetage des produits alimentaires : quelles sont les attentes des consommateurs, 27 février 2017.
Laboratoire GAEL (INRA-Université de Grenoble), étude, 2017.
Légifrance, JORF n°0273 du 24 novembre 2016, texte n°81.
DGGCRF, Dossier sur les nouvelles règles européennes sur l’étiquetage des denrées alimentaires, Déclaration nutritionnelle (UE n°1169/2011-INCO), 23/04/2015.
Alter Info, l’info alternative, Étiquetage de produits des colonies israéliennes : le Conseil d’État botte en touche, 31 mai 2018.
Le Figaro, Inquiétantes opérations anti-Israël dans des supermarchés, 5 juin 2018.
Boycott Désinvestissement Sanctions : notre réponse à l’apartheid, la colonisation et l’occupation israélienne.
CAPJPO-Palestine, Palestine Tour : interventions BDS dans les grandes surfaces, 17 juillet 2018.
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