Candice, dans les rues de Londres, n’est pas sur scène, et ce n’est pas encore l’hiver. Elle roule à toute allure sur son vélo de coursier et la description a tout d’un rêve que chacun aimerait faire. Elle est souveraine, maîtrise les gestes et le parcours, traverse la ville comme un décor construit dans le seul but de placer la cycliste dans la lumière d’un de ces projecteurs que l’on nomme poursuite… Sa légèreté doublée par son travail de comédienne contraste avec la situation d’un pays qui a peur de tout, preuve de sa faiblesse : « L’Angleterre est une petite vieille qui n’a plus la force de rien. L’Angleterre est sur le déclin. » Heureusement (?), un personnage ne va pas tarder, dans la réalité et dans le roman, à manifester son ambition – et l’ambition de redresser la nation, on y vient. Le théâtre est-il le miroir dans lequel s’observe la société ? Richard, écarté du pouvoir, veut le conquérir à tout prix. La salle où la compagnie répète est, un jour, réservée à la Royal Shakespeare Company qui débarque avec deux femmes, « dont une plus âgée, en tailleur très chic. » En saluant les filles qui sortent pour aller dans un café, elle « a dit en souriant qu’elle aussi, à sa manière, elle s’attaquait à Richard III. » Fille d’épicier, elle prend des cours de diction avec les comédiens de « la Royal ». Elle est chef du Parti conservateur, elle veut le pouvoir. Elle s’appelle Margaret Thatcher.
Jones, musicien, se désolera de voir le public, à la première de Richard III, applaudir la femme politique quand elle s’installera au balcon en compagnie de son mari : « C’est toujours un peu décevant de voir que les lettrés sont aussi grégaires que les autres. Qu’ils ont, autant que les autres, peur du pouvoir à ce point. » Mais Jones est un inadapté : « Si vous croyez en l’art, si vous savez lire, si vous aimez la musique, vous êtes foutu. Plus rien ne vous fait peur ni ne vous impressionne. On ne vous la fait plus. Et l’illusion s’effondre, comme dans un roman de science-fiction. Le rideau s’ouvre. » Le goût du pouvoir est donc sur scène et son envers, dans la salle. La peur du pouvoir passera bientôt dans la rue, sous la forme d’une lutte inégale que Thomas B. Reverdy résume, vers la fin du roman, en un abécédaire qui fournit le programme de Margaret Thatcher. A la dernière lettre, « Z comme Zero », le nombre d’emplois créés par la politique de la Première ministre, une citation d’un de ses premiers discours après son entrée en fonction : « Aujourd’hui, fini de rêver. » Tout est dit.