Lutte contre la pauvreté : et si la redistribution n’était pas la solution ?

Publié le 14 novembre 2018 par Magazinenagg
Ferghane Azihari Si tous les gouvernements proclament naturellement leur attachement à la lutte contre la pauvreté, peu comprennent visiblement ses ressorts. En témoigne la persistance de l’idée que ce problème ne pourrait être traité qu’à travers le prisme exclusif de la redistribution. Les social-démocraties occidentales souffrent à cet égard d’un authentique paradoxe. Ces dernières sont conscientes de la nécessité de s’appuyer sur une économie de marché productive sans laquelle leurs ambitions redistributives sont irréalisables. Mais il est précisément illogique d’imputer le recul de la pauvreté avant tout à la redistribution si la création de richesses lui précède. Le plan pauvreté annoncé par le gouvernement s’inscrit pourtant dans le prolongement de l’instinct que la misère ne pourrait être combattue que par des dispositifs redistributifs. L’enveloppe de 8 milliards d’euros débloquée pour les quatre prochaines années, les aides dirigées vers la petite enfance, les subventions accordées aux enfants dans les cantines ou l’annonce d’un « revenu universel d’activité » sont autant d’illustrations de la persistance du paradigme redistributif. Le gouvernement ne procède donc qu’à des ajustements techniques sur le fonctionnement de l’État-providence sans interroger les causes structurelles qui permettent à une civilisation de faire reculer la pauvreté parmi ses membres. C’est en ce sens que l’examen de l’histoire économique des pays riches est indispensable. Cet examen fournit le recul nécessaire pour réaliser que les facteurs « providentiels » que nous pensions à l’origine de l’élévation du niveau de vie des masses ont en réalité été sur-estimés. Dit autrement, l’histoire économique des pays riches invalide l’idée que le combat contre la pauvreté ne serait en définitive qu’une technique d’administration de la charité publique. Comme l’illustrent les graphiques suivants, le recul de la pauvreté dans les pays qui se trouvent être actuellement riches a été amorcé bien avant l’émergence de l’État-providence moderne dans la deuxième moitié du XXème siècle.

Figure 1 : Taux de pauvreté dans certains pays sélectionnés

Source : Martin Ravaillon, The Economics of Poverty, Oxford University Press, 2016.

Note : La manière dont l’auteur mesure la pauvreté est expliquée dans cet article de blog : https://www.cgdev.org/blog/poverty- ...

Figure 2 : Dépenses sociales dans certains pays sélectionnés (%PIB)

Sources : Esteban Ortiz-Ospina and Max Roser (2018) - "Public Spending". {Published online at OurWorldInData.org}.

Ce constat est également valable pour les régions qui ont longtemps été désignées sous le vocable de « pays en voie de développement ». Dans son ouvrage intitulé « China’s Great Migration », Bradley M. Gardner, chercheur à l’Independent Institute rappelle utilement que 753 millions de Chinois ont été sortis de la pauvreté de 1981 à 2011, ce qui représentait 50% de la réduction totale de la pauvreté à l’échelle globale sur la même période. Or, selon l’OCDE, les dépenses sociales chinoises s’élevaient environ à 8% du PIB en 2014. Pourquoi penser que l’État-providence serait la solution à la pauvreté subsistante dès lors que ce dernier n’a jamais été décisif pour faire reculer la pauvreté historique ?

A l’origine de recul de la pauvreté : une économie productive

Il est aujourd’hui couramment admis que la prospérité d’une civilisation réside dans la croissance de la productivité de son économie. Seule la croissance de la productivité nous permet de subvenir à nos besoins au moindre coût et en mobilisant le moins de temps possible. Ceci correspond d’ailleurs à la définition de la richesse. Or les faveurs qui favorisent la productivité d’une économie n’ont rien de secret. Le premier d’entre eux est le développement du commerce et d’une division du travail de qualité où chacun individu se spécialise là où il excelle le plus. Ceci ne s’obtient que dans la mesure où les incitations à commercer et à entreprendre sont préservées contre toute interférence arbitraire. D’où le besoin d’une réglementation et d’une fiscalité sobre qui récompense le travail, l’entrepreneuriat et le commerce au lieu de les punir, aussi bien à l’échelle nationale qu’au niveau international. Le second facteur de productivité est le progrès technique et l’accumulation de capital. Cette accumulation n’est possible que dans un environnement qui récompense l’épargne et l’investissement. Voilà donc les facteurs qui expliquent historiquement notre capacité à produire plus et à subvenir à plus de besoins, le tout en fournissant moins d’efforts, comme l’illustrent les tableaux 3 et 4.

Figure 3 : Evolution des heures de travail annuelles pour certains pays sélectionnés

Source: Michael Huberman, Chris Minns, The times they are not changin’: Days and hours of work in Old and New Worlds, 1870–2000

Figure 4 : Evolution du PIB par tête pour certains pays sélectionnés (Dollars constant, PPP)

Source : OCDE

L’État-providence n’est donc point à l’origine de notre prospérité. Loin de favoriser la lutte contre la pauvreté, ses dispositifs redistributifs seraient au contraire de nature à la compromettre. En effet, les mécanismes de redistribution n’existent qu’à travers une lourde fiscalisation de l’économie. Or cette fiscalisation ralentit précisément la croissance de la productivité en altérant les incitations à entreprendre, à épargner et à investir. Qu’attendons donc nous pour nous inspirer des réussites historiques pour lutter contre la pauvreté subsistante ?