Un hommage lui sera rendu le 17 novembre à 16 h 30, à la Cité du Livre d’Aix-en-Provence – dans le cadre de la manifestation annuelle “Pour fêter la poésie” –, par certains de ses plus proches amis : les poètes Nicolas Cendo, Christian Garcin, Gilles Ortlieb, Jean-Baptiste Para, Christian Tarting et l’un de ses deux derniers éditeurs, Florian Rodari, responsable de La Dogana où parut, en 1994, Embardées (prix Max-Jacob).
Jean-Luc Sarré était un grand amateur de jazz. Un connaisseur. À ses amis se joindra, par un concert à sa mémoire, l’un des tout premiers pianistes de jazz français, Henri Florens.
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Aux prises avec son poème, il tentait de réprimer quelque chose d’inconvenant dans l’intention et qui lui paraissait susciter une manière de souffle. Il mit longtemps à remarquer ce vers presque indécent vautré de tout son long dans la mémoire.
Instants que l’inquiétude ravine, instants accidentés qui font que la journée claudique jusqu’au soir.
“Les villes d’eau apprivoisent le temps.” Ces quelques mots qui m’attendaient au sortir du sommeil, je m’empressai de les noter tant ils me semblaient évidents, voire susceptibles de mener au poème. Cette impression, bien sûr, s’atténua au fil des heures et la phrase, le soir venu, ne se mesurait plus qu’à ses propre effets.
Ces notes afin de montrer l’autre visage, celui dont le poème n’a pas à se soucier, mais dont il tient mystérieusement compte.
J’ai beau écrire, je ne parviens pas à “rejoindre”. Toujours séparé. Je mange de l’intervalle. (Cela n’est vrai qu’au présent. Si je me retourne, j’aperçois quelques clairières dans le temps.)
Rurales, urbaines et autres, Tours, Fourbis, 1991, pp. 17, 47, 48, 57 et 61.
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Ces poèmes effleurés par mégarde et qui très vite s’effarouchent pour peu qu’on décide de les entreprendre : les seuls qui soient vraiment désirés.
Une phrase mal en point d’avoir été extorquée au réel, intact lui, à deux pas ; toujours à deux pas.
Une phrase hors saison, qui attend que la réalité la rejoigne ; dans quelques mois elle sera “vraie”, mais ment-elle pour autant à présent ?
La note : abordons vite cela au trait, afin de ne pas tout perdre, puis laissons le poème traiter les ombres.
Je demande à mes notes de me rendre la vue.
“Plus d’un écrit parce qu’il n’a pas assez de caractère pour ne pas écrire.” Il m’agace un peu, ce Karl Kraus !
Au crayon, Tours, Farrago, 1999, pp. 12, 21, 22, 28, 47, 62.
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En 1990 je découvre, offert par un ami, le livre de Peter Handke, Le Poids du monde. Je décide alors de publier quelques pages de mes cahiers qui, jusque-là, me semblaient pâtir, et c’est toujours le cas, de mon admiration pour Jules Renard et Georges Perros. En revanche, la lecture d’Ostinato, dont des extraits étaient parus dès le milieu des années 1980, m’a dissuadé de poursuivre l’Histoire du jeune homme. J’en ai abandonné quelques fragments dans mon deuxième livre de notes. Le cahier vert à gros carreaux en conserve des bribes que je n’ai plus le cœur d’articuler. Mon retour, récemment, rue de la Faisanderie puis, plus tard dans la journée, rue Octave-Feuillet où, d’ailleurs, je me suis senti moins dépaysé, avait ravivé un instant le désir de reprendre cette histoire, au lieu de quoi je m’en suis débarrassé dans l’épilogue de La Part des anges en créant à partir de deux personnes, aussi distinctes que voisines, une présence féminine, ceci afin – paradoxalement – d’échapper aux anecdotes dont ce livre regorge.
Remâché dans l’agacement, une partie de la nuit, cette remarque de Robert Musil que je recopie ici à la virgule près : “… à quoi serviraient les carnets d’un écrivain, sinon à le délivrer de son impuissance !” Elle me convainc d’autant moins que je ne prends pas de notes pour me délester mais au contraire pour accommoder avec plus d’intensité sur la réalité ; il n’empêche, je décide au cours de la matinée de jeter au panier deux ou trois cents pages qui échappent aux épurations successives et dont je n’ai pas jugé bon de tirer parti.
Poésie. J’ignore encore ce que je veux dire mais je sais plus ou moins ce que je veux entendre. À cet égard les anecdotèmes ne sont pas des poèmes.
Le bon coup de crayon est à rapprocher du beau brin de plume. À l’habileté du graphiste on peut préférer un crayon qui, assisté de sa gomme, cherche à comprendre.
Une seule main c’est peu pour s’exprimer quand les pianistes en ont deux.
Comme si rien ne pressait. Carnets 1990-2005, Genève, La Dogana, 2010, pp. 136-137, 140, 151, 153, 206.
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Graphomanie. Tout fait encre. Puis, à l’instar de l’anorexique-boulimique, je régurgite. (Corbeille à papier.)
La poésie encore une fois m’a fait faux bond – étais-je seulement moi-même au rendez-vous ? – mais voilà, les mimosas sont en fleurs. Ça ne changera rien et pourtant, à cet instant, ça change tout. Peut-être l’étaient-ils déjà il y a quelques jours sans que j’y voie rien tant le mistral chahutait ; le ciel gris et sa paisible lumière m’auront révélé leur éclosion. Merci, les lourds nuages !
Le temps et moi jouons à nous perdre l’un l’autre, mais pas de vue.
Je note, j’accumule les remarques, je fixe (plus rarement), je grappille et je stocke. Aurais-je peur de manquer ? Je dois trouver rassurant d’avoir toujours quelque chose à me mettre sous la plume. Quelle honte ! Et bien entendu ma paresse y trouve son compte, qui passe ainsi inaperçue.
Ainsi les jours, Paris, Le Bruit du temps, 2014, pp. 37, 71, 92, 134.
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Ces notes fragiles comme un retour radical à la figuration
Il arrive que quelques mots suffisent pour qu’une note soit frappée de caducité.
Si je néglige la plupart du temps de coucher une idée sur le papier, j’aime bien en revanche que les choses vues viennent y passer ne serait-ce qu’un moment, quitte à finir ensuite à la corbeille.
J’ai écarté sans hésiter toutes les notes prises ce jour tant elles me semblaient inanes – sans doute l’étaient-elles mais pas plus que les autres – et c’est moi, du coup, que j’ai mis sur la touche, enseveli sous cette pénurie. Je n’aurais pas existé aujourd’hui si cette dernière remarque ne m’avait exhumé.
Apostumes, Paris, Le Bruit du temps, 2017, pp. 39, 94, 114, 227.
Choix de notes réalisé par Christian Tarting.