Individuellement, pas collectivement. Rien n’est automatique dans le progrès humain. Penser que l’humanité progresse quoi qu’il arrive ? Quand on vient de voir le XXe siècle qui a fait une deuxième guerre mondiale avec 52 millions de morts, avec des camps d’extermination d’efficacité insoupçonnée et qui finit par l’invention de la bombe atomique, ensuite de la bombe H. On sait que l’humanité a les moyens de se détruire et de détruire toute vie sur terre. Je ne vois pas où est le progrès. Je ne vois pas comment l’humanité s’améliorerait. L’humanité ne peut s’améliorer qu’en réformant son cœur. Et malheureusement, cela ne se fait qu’individu par individu. Je crois au pouvoir des livres. Le pouvoir des livres ne peut pas changer la masse, mais un livre peut changer un humain, un individu. Donc, je crois qu’il peut y avoir une amélioration de soi. Cela, c’est possible. C’est entre les mains d’un individu. Rien d’automatique ne se ferait sans les hommes et malgré eux. Tous les optimismes historiques à la Marx me semblent des aberrations. Mon optimisme porte uniquement sur la capacité qu’a l’individu de progresser. Je ne crois pas au progrès de l’humanité, je crois au progrès de chaque individu.
Quelle est votre définition de l’amour, la vôtre ?
La mienne ? C’est penser que quelqu’un a plus d’importance que soi et son bonheur. Quand j’aime, l’autre a plus d’importance que moi, que mon bien-être et mon bonheur. Pour moi, d’ailleurs, aimer absolument, ce n’est pas choisir le bonheur, c’est choisir l’amour. Si pour aimer absolument il faut que je souffre du comportement de l’autre, de ceci, de cela, je vais accepter de souffrir parce que ce qui compte, c’est l’amour.
L’amour n’a rien à voir avec le bien-être. Il se trouve souvent qu’il y a des moments de bien-être dans l’amour et qu’il y a des moments de bonheur. L’amour n’est pas la recherche du bonheur. C’est complètement différent.
L’amour commence quand la passion s’arrête
Et puis, l’amour, il faut le faire exister. Il n’existe pas sans nous. C’est à nous de prouver que cela existe. Les gens attendent quelque chose de l’amour. Mais c’est l’amour qui attend quelque chose de nous.
Le bonheur, un leurre ?
Pas forcément, mais pour moi, cela ne peut pas être le but d’une vie. Il y a des valeurs plus importantes. Qu’est-ce que le bonheur ? C’est le bien-être. Comme disait le philosophe Kant, le bonheur, c’est un idéal de l’imagination et personne n’a le même. Et est-ce que cela peut être l’idéal d’une vie ? Je trouve qu’une vie juste ou une vie bonne ou une vie sous le signe de l’amour, c’est préférable. C’est plus tenable que le bonheur. Les moments les plus intéressants de ma vie ne sont pas forcément les moments où j’ai été heureux. Ce sont les moments où je me suis battu pour ce à quoi je crois. Et dans la relation amoureuse, si on choisit le bonheur, on aime un temps, puis après on cesse d’aimer, puis on recommence avec quelqu’un d’autre, les mêmes illusions. C’est une vie d’aventures au pluriel, mais c’est une vie en série. Tandis qu’aimer vraiment, c'est ne pas cesser d’aimer. C’est avoir des traversées du désert. Ce n’est pas de vouloir le bonheur de l’autre, évidemment. L’amour est pour moi un idéal, c’est-à-dire la cessation de l’égoïsme et penser que quelqu’un a plus d’importance que soi. C’est le salut. Pour moi, le salut est hors de l’égoïsme. Je ne sais plus dans quelle histoire j’avais écrit que l’amour commence après la passion. La passion, c’est l’illusion, la recherche de l’extase, du bonheur, de ceci, de cela. L’amour commence après, quand la passion s’arrête. Enfin, les choses vont devenir précises. Je suis à la fois un amoureux et un chrétien. Autant vous dire que l’amour est ma valeur.
Et après l’existence, est-ce un aspect qui vous occupe ?
La pire des choses qui pourrait arriver à la question « qu’est-ce que la mort ? », c’est une réponse. Je ne sais pas et je suis très heureux de ne pas le savoir, parce que j’ai confiance dans le mystère. Donc, la mort ne peut être qu’une bonne surprise. ■
La trahison d’Einstein
Albin Michel
Le dernier ouvrage d’Eric-Emmanuel Schmitt chez Albin Michel.