La chaine de télévision qui se dit être la "préférée" des enfants ne pouvait pas passer à coté de la littérature jeunesse et tient, en toute légitimité à célébrer l'orthographe, la grammaire, la langue française, et surtout l'imagination.
De janvier à septembre un jury de spécialistes se plonge dans les romans, uniquement de langue française, que les éditeurs lui adresse, après une première sélection puisque chaque maison ne peut envoyer qu'un ouvrage. Ce sont six romans qui sont ainsi sélectionnés à la fin de l'été au terme de comités de lecture sans doute musclés parce que la production est toujours de très bonne qualité.
La littérature jeunesse n'est cependant pas très rose. Elle est le reflet d'une société qui ne va pas très bien et il n'est pas étonnant que chacun des livres sélectionnés parlent de la différence, toujours douloureuse à vivre mais apportant une richesse dans les relations.
Le Mot d'Abel remporte à l'unanimité le Prix 2018 mais le jury a voulu, toujours à l'unanimité, couronner un autre coup de coeur, en lui accordant une mention spéciale, Mercredi c'est Papi ! écrit par Emmanuel Bourdier et illustré par Laurent Simon, chez Flammarion Jeunesse, qui traite de la maladie d'Alzheimer, à hauteur de portée d'enfant.
Alessandra Sublet, qui est la marraine de l'édition, a fait lire ce roman à sa fille qui a réussi à comprendre ce que les adultes ne parvenaient pas à lui expliquer et qui arrivait à sa grand-mère. L'auteur se défend pourtant d'avoir pensé à cette maladie en particulier lorsqu'il écrivait. L'histoire lui est venue d'une traite et du coup, le dépasse, a-t-il confié pendant la cérémonie : Je crois qu'il arrive d'une mémoire lointaine, inspiré par une grande tante et que l'on retrouvera dans un autre roman qui est en préparation.
Mercredi c'est Papi ! est un livre facile à lire, à partir de 10 ans. Il est, un peu dans l'esprit du grand auteur Roald Dahl, un hymne à la vie quotidienne, au bonheur simple et à la tendresse.
Nul doute qu'elle a été inspirée et qu'elle a du consulter cette bible à de nombreuses reprises pour qu'on trouve le mot "enfaîteau" (p. 41) dont j'ignorai la signification de faitière, tuile.
Ce livre, dont je ne veux pas révéler les péripéties, interpelle chaque lecteur, quel que soit son âge. L'auteur file la métaphore qui voudrait que chacun de nous a un mot, qui ne peut pas être un nom propre, qui forge son destin et qui lui est révélé lorsqu'il a environ douze ans mais que l'on peut malgré tout échapper au déterminisme.
Voilà pourquoi le mot ne doit jamais être dévoilé du vivant de la personne, parce qu'il se transformerait en étiquette (p. 38).
Abel sait combien ce mot va conditionner sa vie entière. Sa mère avait hérité de "nuage" était une grande rêveuse et écrivait des romans. Avec le mot "voler," son père aurait pu devenir voleur, cleptomane ou braqueur de banques. ou il aurait pu être ornithologue. Ou alors moine ermite, se délester de tout afin que rien ne puisse lui être volé (p. 10). Mais son père a acheté un avion qui a explosé dans le ciel, faisant d'Abel et de ses deux soeurs des orphelins. On comprend que le garçon attende la révélation de son mot avec angoisse. Il a peur que ce soit un mot dérisoire ou ridicule, ou pire, un mot noir…
Véronique Petit vit à Chalon-sur-Saône. Assistante sociale le jour, elle écrit à la main, au crayon, et surtout le soir, parait-il en mangeant du chocolat. Le mot doit rester secret toute sa vie mais on peut penser que celui de Véronique est "écriture".
La sélection a beaucoup de points communs. Le roman de Maëlle Fierpied, paru à l'Ecole des loisirs sous le titre J'ai suivi un nuage, aborde le thème de la bipolarité, même si la maman n'est pas systématiquement triste entre deux éclaircies. Voilà un personnage dont on devine quel mot la plume de Véronique Petit lui aurait attribué.
Dans Mentir aux étoiles, chez Casterman, Alexandre Chardin raconte l'entrée eu collège d'un enfant autiste, pourtant joyeux, malgré l'angoisse que sa mère ne cesse de déverser sur lui.
Marion Achard s'est penchée sur l'angoisse des gamins qui vont à l'école la boule au ventre. Le roman s'intitule Trop de chefs, pas assez d'indiens, chez Actes Sud Junior. Elle travaille à une série sur le bonheur à l'école.
Jean-Claude Mourlevat publie Jefferson chez Gallimard Jeunesse, un roman policier qui permet de s'interroger sur la place des animaux dans notre société.
La remise du Prix a eu lieu au coeur de Saint-Germain des Prés, un quartier littéraire s'il en est, dans les salons du Procope, qui est le plus vieux café de Paris. Les murs sont chargés d’histoire car les plus grands écrivains et intellectuels s'y sont réunis (Rousseau, Diderot, Verlaine...) depuis 1686.