« Si le commencement du siècle fut un temps de troubles et de grandes guerres, il est triste de penser que la fin de ce même siècle paraît devoir être encore plus troublée et qu’elle semble destinée à devenir la proie d’un sanglant délire, car elle est l’époque d’un immense désarroi dans les esprits, et le monde décrépit n’a plus foi en lui-même au milieu de la confusion dans laquelle se débat une partie de l’humanité.
On a tant parlé de gloire que maintenant on en parle un peu moins; mais on se prépare davantage, avec l’espoir de tirer le meilleur parti possible des futures hécatombes froidement, scientifiquement méditées.
Un atmosphère de défiance ou de haine se répand de plus en plus sur les peuples constituant une chrétienté qui est loin d’avoir l’esprit de Christ. À l’époque actuelle, des Pyrénées au Monts Oural, le Continent européen brille des baïonnettes de plus de 22 millions de soldats; et, quand l’heure de la mêlée sonnera, quand viendra le moment de ces engouements prétendus chevaleresques, où, semblables à des animaux féroces aveuglés de rage et saisis de folie furieuse, les grandes nations se rueront les unes sur les autres, de quels spectacles tragiques serons-nous alors gratifiés? Les grands fauves commenceront; les petits pâtiront. On détruira pour n’être pas détruit et une fois les bêtes déchaînées, il ne pourra plus en être autrement.
En outre, la crise morale de notre temps, plus grave chez les peuples de race latine où elle prend un caractère alarmant, s’accentue chaque année davantage et semble menacer la société d’un véritable cataclysme. La marée monte lentement; elle finira sans doute par engloutir les digues qu’on essaie de lui opposer; elle submergera, peutêtre, elle balayera ce qui était réputé aussi solide qu’inattaquable à ses flots.
Comme pour hâter cette crise fatale, augmenter l’anarchie des esprits et précipiter le monde vers une dissolution sociale, nous voyons les forces les plus puissantes de la nature converties par les hommes en instruments de destruction; nous voyons les nations les plus intelligentes rechercher avec avidité, dans l’appréhension d’une conflagration générale, à être les plus grandes, les plus puissantes par la force brutale, par le fer et par le feu. Les peuples policés sont armés jusqu’aux dents: ils ne songent ni à s’arrêter ni même à se modérer sur cette pente.
De toutes les inventions, il n’en est pas que le genre humain se soit plus appliqué à perfectionner que celle dont le but est le meurtre en grand de nos semblables. On a su légitimer par de si glorieuses considérations qu’il est accepté comme « une loi de notre nature »! L’usage, la tradition, la nécessité ont consacré la guerre: on l’entoure d’admiration et d’éloges, et l’on est arrivé à glorifier comme une chose sans conteste la guerre d’expansion, la guerre de conquête, la guerre pour la guerre!
La civilisation de notre époque que l’on pouvait croire destinée à convier les hommes à la fraternité s’affirme au contraire chaque jour davantage en leur fournissant les moyens de s’anéantir les uns les autres plus aisément, plus sûrement, plus commodément. Il semble, en vérité, que, désormais, le progrès moderne consiste surtout dans la recherche et la découverte des meilleurs engins de destruction.(…)