Le poète anglais Wilfred Owen, que j’ai déjà largement évoqué sur ce blog, est mort le 4 novembre 1918, sur le canal de la Sambre à Ors, non loin du Cateau-Cambresis. Je reprends ici une présentation que j’avais faite en 2010 :
Wilfred Edward Salter Owen est né en 1893, dans une famille de petits bourgeois, dont il gardera un fort attachement à sa mère, l’aspiration à une situation plus élevée et un certain dandysme. Il s’est enthousiasmé très jeune pour la poésie et n’a cessé d’écrire. Il est arrivé en 1913 à Bordeaux, où il a enseigné l’anglais à l’école Berlitz. La guerre éclate alors qu’il est en France; il rentre en Angleterre en 1915, s’engage aux Artists’s Rifles, puis au régiment de Manchester et rejoint le front de la Somme en 1917. Gravement blessé il est rapatrié en Angleterre, et rencontre Siegfried Sassoon, lui aussi officier et héros décoré, qui vient de signer une déclaration pacifiste. Sassoon encourage Owen à utiliser son expérience dans ses écrits. C’est cela qui va faire réellement éclore la voix et le talent poétique de Wilfred.
Alors qu’il pourrait très bien se faire réformer, le jeune lieutenant repart au front, continue à écrire à sa famille. Il meurt à Ors, dans le Nord de la France, lors du franchissement du canal de la Sambre, le …4 novembre 1918. Il n’aura publié que 4 poèmes de son vivant, dans la presse nationale, mais ses amis, son frère rassembleront ses textes qui seront édités pour la première fois en 1920. Neuf d’entre eux ont été utilisés par le compositeur Benjamin Britten dans son War Requiem. On peut aussi lire, avec ceux de Sassoon, quelques-uns de ses vers au Flanders field, très beau musée interactif sur la 1e guerre mondiale en territoire flamand.
La tombe de Wilfred Owen au cimetière d’Ors
ilfred Owen parlait ainsi de ses poèmes en 1918 :
« Ce livre ne parle pas de héros. La poésie anglaise n’est pas encore de taille à parler d’eux.
Il ne traite pas davantage d’exploits ou de patries, ni de quoi que ce soit concernant gloire, honneur, puissance, majesté, domination, pouvoir – sauf la Guerre.
Surtout, la Poésie n’est pas mon souci.
Mon sujet, c’est la Guerre, et le malheur de la Guerre.
La Poésie est dans la compassion.
Cependant, pour cette génération, ces élégies n’ont rien de consolatoire. Elles pourraient l’être pour la suivante. Aujourd’hui, tout ce qu’un poète peut faire, c’est avertir. C’est pourquoi les vrais poètes doivent demeurer fidèles à la vérité. »
Voici deux de ses poèmes :
Hymne à la jeunesse condamnée
Quel glas pour ceux-là qui meurent comme du bétail ?
– Seule la monstrueuse colère des canons.
Seuls les crépitements rapides des fusils
Peuvent encore marmotter leurs hâtives oraisons.
Plus de singeries pour eux, de prières ni de cloches,
Aucune voix de deuil sinon les choeurs –
Les choeurs aigus, déments des obus qui pleurent,
Et les bugles qui les appellent du fond de comtés tristes.
Quels cierges portera-t-on pour leur dernier voyage ?
Les mains des gosses resteront vides, mais dans leurs yeux
Brûlera la flamme sacrée des au revoir.
Le front pâle des filles sera leur linceul,
Leurs fleurs la tendresse d’âmes patientes
Et chaque lent crépuscule, un volet qui se ferme.
Sur une plaque d’identité
Si jamais j’avais un jour rêvé voir mon nom mort
Haut perché au coeur de Londres, à l’épreuve
Définitive du temps, la fugitive renommée
Ayant choisi d’y chercher enfin long asile –
Autant pour moi. Et j’évoque avec honte
Ce vieux désir : dérober ce nom aux ardeurs de la vie
Sous les cyprès sacrés qui baignent de leur ombre
La tombe de John Keats.
Aujourd’hui, je remercie Dieu : aucun risque
De voir ce nom gravé nulle part en formules fleuries.
J’aime mieux ma mort notée sur cette plaque.
Porte-la, cher ami. N’inscris ni date ni haut fait.
Mais que le battement de mon coeur l’embrasse nuit et jour
Jusqu’à ce que le nom se brouille puis s’efface.
Wilfred OWEN, Et chaque lent crépuscule… Poèmes et lettres de guerre (1916-1918), traduits par Xavier Hanotte, Le Castor astral, 2003
Wilfred Owen et Siegried Sassoon, lui aussi poète et soldat – En fond, l’original du poème Hymne à une jeunesse sacrifiée