Au moment où le Parlement examine le budget 2019, le ralentissement de la croissance complique sérieusement l'équation, certes un peu moins qu'en Italie. En effet, après l'euphorie de 2017, le gouvernement espérait un taux de croissance supérieur à 2 % pour 2018 et 2019, afin d'engranger des recettes fiscales plus élevées et donc réduire sans douleurs le déficit public... Seulement voilà, les rêves en économie ont souvent une fâcheuse tendance à terminer en chimère, surtout lorsque l'exécutif feint d'oublier que la recherche de la croissance à tout prix - au travers notamment de la théorie du ruissellement - n'est que la continuation du vieux monde par d'autres moyens numériques.
Mon propos dans ce billet sera d'analyser brièvement les causes du ralentissement de la croissance, pour donner un peu de grain à moudre aux thuriféraires de la croissance.
Croissance et croissance potentielle
Dans L’économie du XXe siècle (1961), l’économiste français François Perroux a proposé la définition suivante de la croissance : "augmentation soutenue pendant une ou plusieurs périodes longues, chacune de ces périodes comprenant plusieurs cycles quasi décennaux, d’un indicateur de dimension, pour une nation, le produit global net en termes réels". L'indicateur retenu est en général le PIB en volume.
La croissance potentielle, quant à elle, peut être définie comme celle réalisant le niveau maximal de production sans accélération de l'inflation, compte tenu des capacités de production et de la main-d’œuvre disponibles. Et d'après la Direction générale du trésor,"alors qu’avant la crise de 2008 la croissance potentielle de l’économie française était de l’ordre de 2 %, elle serait autour de 1¼ % entre 2017 et 2020. Ce ralentissement s’explique principalement par celui de la productivité globale des facteurs (PGF), ainsi que par une moindre contribution du capital" :
[ Source : DG Trésor ]
Autrement dit, on ne voit pas très bien comment le gouvernement a pu espérer avoir 2 % de croissance pour les deux prochaines années... Certes, on peut arguer que les statistiques prennent encore mal en compte les conséquences des innovations récentes (numérisation, plateforme d'échanges, dématérialisation...) et que la croissance serait par conséquent sous-estimée. Mais même si le débat reste ouvert entre économistes, il faut bien optimiste pour s'imaginer que la croissance va subitement connaître un bon extraordinaire du seul fait de changer le thermomètre...
Les chiffres de la croissance en France
Le graphique ci-dessous nous montre que le produit intérieur brut (PIB) en volume a progressé de 0,4 % au troisième trimestre 2018, après 0,2 % au semestre précédent. Cependant, à bien y regarder, les moteurs de cette faible expansion (consommation, investissement, commerce extérieur) tournent actuellement au régime 2CV diesel :
[ Source : INSEE ]
Les menaces sur la croissance
La consommation des ménages, moteur traditionnel de l'économie française même si certains feignent de croire que nous avons dépassé la société fordiste, a beaucoup de mal à reprendre des couleurs, ne serait-ce qu'en raison de la hausse de taxes et impôts sur les ménages en 2018, seulement partiellement compensée par la baisse des cotisations sociales.
Plus généralement, la confiance des ménages dans la situation économique n'est pas au beau fixe :
[ Source : INSEE ]
Les réductions de dépenses publiques, quel que soit leur nom (économies, rabot, allègement de l'État et autre noms mélioratifs), vont avoir un impact sur la croissance par le mécanisme du multiplicateur budgétaire :
[ Source : Natixis ]
En effet, contrairement à une croyance tenace, les dépenses publiques ne sont pas stériles et soutiennent au contraire très souvent l'activité ; dès lors, les couper sans discernement de près de 4 points jusqu'en 2022, c'est prendre le risque de faire chuter l'activité. Le lecteur intéressé pourra trouver plus de détails sur les dépenses publiques au chapitre 19 de mon dernier livre, Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur l'économie ! (éditions Ellipses).
Quant à la hausse des prix du pétrole, dont j'avais parlé dans ce billet, il est bon de rappeler qu'elle est liée à une croissance rapide de la demande mondiale de pétrole, qui dépasse la production, alors que la découverte de nouveaux gisements est très mal orientée comme, mais dans une moindre mesure, l’investissement en exploration-production. Dès lors, sauf accord particulier entre les membres de l'OPEP, le baril risque de rester à un niveau élevé, ce qui pénalisera à l'évidence la croissance française.
Et si le vrai courage politique consistait davantage à imaginer un monde sans croissance ?
P.S. : l'image de ce billet provient de cet éditorial du journal Ouest France.