Critique de Clouée au sol, de Georges Brant, vu le 30 octobres 2018 aux Déchargeurs
Avec Pauline Bayle, dans une mise en scène de Gilles David
Je n’ai pas très bien commencé avec Pauline Bayle. Sa mise en scène de L’Iliade, que j’avais découverte à La Bastille la saison dernière, m’avait laissée de côté – tant et si bien que j’avais revendu ma place pour L’Odyssée, le lendemain. Il paraît que le deuxième volet était plus intéressant. J’ai peut-être manqué quelque chose. Mais je ne reste pas sur cet avis-là : après tout, si la metteuse en scène ne m’a pas convaincue, je ne sais encore rien de l’actrice. Devant les excellents retours de Clouée au sol, je décide donc de découvrir Pauline Bayle sous un autre jour.
Je n’avais pas lu le synopsis. Ou peut-être juste en diagonale. Je croyais donc que c’était la maladie qui avait cloué au sol cette militaire de l’armée de l’air employée par l’US Air Force. Mais pas du tout. Ce n’est pas non plus son mariage ni la maternité qui l’ont empêché de voler à nouveau dans Tiger, son fidèle engin. C’est simplement le progrès. Le progrès qui fait qu’aujourd’hui, on ne conduit plus des avions de chasse, on pilote des drones à distance. La voilà donc clouée au sol par le progrès.
Le problème, c’est qu’avec le progrès, on voit de mieux en mieux. Avant, on savait qu’il fallait larguer une bombe dans son avion militaire, on appuyait sur le bouton et, lorsqu’elle explosait, on était déjà loin. Ce n’est plus le cas avec les caméras ultra performantes des drones actuels. On voit qui on s’apprête à éliminer. Et on voit comment cela se déroule. On voit la chair humaine qui explose, on voit des membres éclater en l’air, on voit le rien laissé par le passage de la bombe. Alors viennent les questions sur les méchants de l’histoire, sur le sens de tout ça, et sur sa propre place.
Voilà ce qu’on appelle une montée en puissance. Pendant tout le spectacle, on ressent un certain malaise parce que la tension est là, latente. C’est presque trop lent parfois, on aimerait que ça explose car cela devient insoutenable. Gilles David a réussi à souligner cet effet en proposant une mise en scène totalement épurée donnant libre cours au texte, appuyée très légèrement par un fond sonore marquant l’accélération du rythme. Il aurait tout aussi bien pu plaquer un micro sur le pouls des spectateurs. La tension monte, monte, jusqu’à provoquer un éclatement digne d’un tir militaire. La métaphore semble filée tout du long.
Et il a bien trouvé son actrice. Pauline Bayle est impressionnante. Entre fragilité et puissance, son interprétation a quelque chose de bipolaire. On le voit, le robot prêt à tuer, qui ne cherche pas à se poser de questions car il l’a toujours fait ainsi, sans s’en poser. Mais la femme est là, la mère, l’épouse, celle qui cherche à protéger les siens autant qu’elle-même. Reste à savoir lequel de ces deux personnages est réellement le plus faible. Pauline Bayle ne donnera pas la réponse. Aux saluts, elle donne soudain l’impression de se réveiller d’un long cauchemar. Elle change totalement de visage. C’est étrange. Du côté spectateur, on sort également d’une longue apnée. Témoin le long silence qui accompagne le silence final.
L’impression d’être à la guerre. L’envie d’être loin, très loin d’ici.