Magazine Société

Egon Schiele, l’enfant tourmenté et sulfureux

Publié le 31 octobre 2018 par Sylvainrakotoarison

" Je me fais une publicité terrible avec mes dessins interdits. " (Cité par Jeanette Zwingenberger et Esther Selsdon).
Egon Schiele, l’enfant tourmenté et sulfureux
Il y a exactement un siècle que le peintre expressionniste Egon Schiele est mort. Le 31 octobre 1918, il s'est "éteint" à Vienne de la "grippe espagnole" (à l'appellation trompeuse). Sa femme Edith, qui était enceinte d'un bébé au sixième mois de sa grossesse, est morte trois jours avant lui. Tout Vienne fut sous le choc de l'épidémie. Il n'avait que 28 ans (né le 12 juin 1890 à Vienne), mais il a laissé des milliers d'œuvres, souvent guidées par des pulsions de mort ou des pulsions sexuelles, qui en fait l'un des artistes essentiels du début du XX e siècle. Entre 1906 et 1918, en douze ans donc, il a réalisé environ 3 000 dessins, aquarelles et gouaches et 300 peintures (et très peu de gravures, lithographies).
Son dernier tableau ("La Famille") anticipa à tort la famille qu'il n'a jamais eue : il envisageait ainsi la paternité dans un cadre stable après quelques années d'errance avant de rencontrer sa future épouse (l'écrivain et cinéaste Alain Fleischer a publié un essai sur ce tableau en 2008 aux éditions du Huitième jour).
Egon Schiele, l’enfant tourmenté et sulfureux
Egon Schiele fut passionné par le dessin et la peinture très tôt dans son existence qui a été marquée par plusieurs drames comme la mort de sa sœur aînée (quand il avait 3 ans) et surtout la mort de son père de syphilis (quand il avait 14 ans). Ce fut à la mort de son père qu'Egon Schiele a commencé à peindre ses premiers autoportraits. Sa mère convainquit l'oncle, qui était devenu le tuteur, de laisser Egon étudier aux Beaux-Arts de Vienne (à partir de 1906) parce qu'il avait un talent fou, mais le futur artiste quitta vite ce repaire du conservatisme et d'académisme avec d'autres amis pour fonder son propre groupe artistique, le "Neukunstgruppe" ("groupe pour le nouvel art", en allemand).
Egon Schiele, l’enfant tourmenté et sulfureux
Ce petit groupe d'amis fut essentiel dans la promotion mutuelle de leurs œuvres, et aussi dans leur vie personnelle (l'un s'est marié à l'une des sœurs d'Egon Schiele, par exemple). En 1907, Egon Schiele a fait la rencontre de son maître artistique, Gustav Klimt (1962-1918), qui l'a ensuite introduit dans différents cercles artistiques. Les deux peintres allaient s'apprécier et apprécier leurs œuvres mutuellement. L'année 1909 fut pour Egon Schiel essentielle car elle représenta son ouverture à son public et à ses "sponsors" : premières expositions, rencontre avec des éditeurs, des collectionneurs, etc.
Pendant le reste de sa vie, il a réalisé des dizaines et des dizaines d'autoportraits, qui montre toute l'étendue de son état d'esprit très tourmenté, torturé, inquiétant, d'une noirceur à faire peur, de traits qui sembleraient presque cadavériques, d'un style ascétique et abrupt. Les mains et les membres en général ressemblent à des parties d'un squelette, les visages sont souvent horrifiés, tuméfiés. L'un des autoportraits fait vraiment penser au célèbre tableau d'Edvard Munch (1863-1944), "Le Cri" (1893).
Également poète, Egon Schiele savait décrire ses sensations : " J'entre sous le dôme noir rouge de cette épaisse forêt de sapins, qui vit sans vacarme et se regarde en mimant. Les troncs d'yeux qui denses s'agrippent et expirent un air visiblement humide. Parfois ! Tout est mort vivant. ".
La critique parlait d'un "excès d'un cerveau perdu". Egon Schiele ne manquait pas d'humour ni d'autodérision car beaucoup décrié (pour les raisons qui suivent), il coupait l'herbe sous le pied de ses détracteurs en dessinant ses yeux avec un certain strabisme, pour jouer sur son patronyme qui est associé au verbe "schielen" qui signifie en allemand "loucher".
Egon Schiele, l’enfant tourmenté et sulfureux
Signe d'un talent original, le style d'Egon Schiele est reconnaissable parmi les autres, mais il ne fut pas reconnu par beaucoup de monde au début. Pas seulement de lui, il a fait aussi beaucoup de portraits d'amis. Il a exposé ses tableaux et dessins dans certaines villes allemandes et austro-hongroise (Prague, Cologne, Munich, Budapest, etc.).
Egon Schiele, l’enfant tourmenté et sulfureux
La rencontre de la gracieuse Wally Neuzil (1894-1917), supposée être un modèle de Klimt, fut une étape importante dans sa vie, ils ont noué une liaison artistique et amoureuse de 1911 à 1913. La femme avait la réputation d'être une prostituée. Ils se sont installés dans une petite ville de Bohême, Krumau, d'où fut originaire la mère d'Egon, mais, rejetés par les habitants, ils se résignèrent à habiter finalement près de Vienne.
Egon Schiele, l’enfant tourmenté et sulfureux
Pourquoi un tel rejet ? Parce que les toiles d'Egon Schiele étaient "sulfureuses". Il a peint de nombreux nus qui avaient des poses très osées, ou même scandaleuses, notamment des couples de lesbiennes, ou alors un cardinal avec "sa" nonne (en 1912), etc. Beaucoup de dessins d'Egon Schiele étaient à caractère érotique, il ne s'interdisait pas non plus à se représenter nu, dans les poses, la composition, tout porterait aussi à croire qu'Egon Schiele cherchait plus à peintre la réalité crue plutôt que des positions à vocations pornographiques.
Egon Schiele, l’enfant tourmenté et sulfureux
Comme avec ses autoportraits, ses représentations de nus ont parfois l'air très sombre. Les regards sont noirs, les membres parfois désarticulés. Egon Schiele s'était inspiré notamment des gestes de malades dans un asile psychiatrique.
Cet "audacieux" art a valu à Egon Schiele vingt-quatre jours de prison en avril 1912, soupçonné de détournement de mineures et de pédophilie. Soutenu de manière indéfectible par sa compagne Wally, il fut innocenté pour les soupçons qui ont provoqué sa détention (il fut arrêté parce qu'il avait séduit une jeune fille mineure) mais fut quand même condamné pour atteinte aux bonnes mœurs car il exposait ses œuvres qui n'étaient pas destinées aux enfants dans des lieux publics (en fait, dans son atelier mais des enfants pouvaient y venir et les apercevoir). Même si ce fut court, son séjour en prison l'a beaucoup traumatisé, lui qui refusait tous les cadres : " Entraver l'artiste est un crime, cela revient à assassiner une vie en germe. ". Cela lui inspira quelques œuvres encore plus sombres.
Egon Schiele, l’enfant tourmenté et sulfureux
Il est vrai qu'Egon Schiele adorait les femmes et un moment, il compta qu'il avait reçu 180 femmes dans son atelier en huit mois !
Egon Schiele, l’enfant tourmenté et sulfureux
Ce scandale a probablement contribué à diffuser ses œuvres dans toute l'Europe en 1913 et 1914, qu'il a exposées, en plus des villes déjà citées plus haut, à Düsseldorf, Dresde, Paris, Bruxelles, Rome, etc. Son talent commença à être reconnu à sa juste valeur. Certaines personnes haut placées qui l'admiraient lui permirent de passer son service militaire, en 1914, dans un bureau administratif pour continuer à se consacrer au dessin et à la peinture malgré la guerre.
Egon Schiele avait quitté Wally en 1913 (celle-ci est morte de la scarlatine à l'âge de 23 ans, le 27 décembre 1915) et se maria le 17 juin 1915 avec Edith Harms, l'une des deux sœurs voisines avec lesquelles il avait sympathisé à partir de 1914 (il a eu aussi des relations avec la sœur, Gertrude). Son mariage a eu lieu quatre jours avant sa mobilisation à Prague pour quelques semaines avant de retourner à Vienne.
Egon Schiele, l’enfant tourmenté et sulfureux
Toujours dans sa soif de reconnaissance et tombant dans la vanité, il a réalisé l'affiche de la 49 e exposition de la Sécession viennoise en mars 1918, en se représentant au milieu d'une composition qui pourrait être prise pour la Cène. Egon Jésus Christ ! Lors de cette exposition, qu'il organisa alors qu'elle aurait dû être présidée par Klimt qui est mort le mois précédent, Egon Schiele remporta un vif succès avec les œuvres qu'il a présentées et réussi à vendre. Il reçut beaucoup de commandes de portraits, mais qu'il n'a jamais pu honorer en raison de sa mort soudaine.
Egon Schiele, l’enfant tourmenté et sulfureux
Pour se donner une idée de l'importance d'Egon Schiele aujourd'hui, voici trois exemples, parmi d'autres, de sa valeur dans le marché de l'art, au cours de ventes chez Christie's, à New York.
Un tableau représentant la ville de Krumau en 1910 a été vendu à presque 3 millions de dollars le 5 novembre 2014.
Egon Schiele, l’enfant tourmenté et sulfureux
Le dessin représentant un nu couché avec jambe gauche levée, réalisé en 1914, a été vendu à près de 1,8 million de dollars le 6 mai 2008.
Egon Schiele, l’enfant tourmenté et sulfureux
Enfin, probablement le record, le tableau représentant un autoportrait avec modèle, peint en 1913, a été vendu à plus de 11 millions de dollars le 8 mai 2013.
Egon Schiele, l’enfant tourmenté et sulfureux
Le site de Christie's évoque la permanence de l'œuvre d'Egon Schiele (qui disait : " Mon œuvre n'est pas moderne, elle est de toute éternité. ") en ces termes : " L'héritage artistique de Schiele est profond. Cent ans après sa mort, l'anxiété suscitée par les images érotiquement chargées de Schiele n'a pas diminué. Peu d'artistes ont été aussi francs dans leur exploration de la sexualité et n'ont pas manqué d'être aussi dangereux que le tabou. ".
Dans le monde cette année, de nombreuses expositions rendent hommage à Egon Schiele à l'occasion du centenaire de sa mort. Trois ont déjà fermé leurs portes, au Metropolitan Museum, à New York, qui a exposé des nus d'Egon Schiele du 3 juillet 2018 au 7 octobre 2018, à la Neue Galerie, à New York, du 26 juin 2018 au 4 septembre 2018, et au Tate Liverpool jusqu'au 23 septembre 2018. Une autre va bientôt se clore le 4 novembre 2018 à Vienne, au Leopold Museum, qui expose une quarantaine de tableaux et près de 180 dessins d'Egon Schiele.
La Royal Academy of Arts à Londres présente des dessins réalisés par Egon Schiele et Gustav Klimt du 4 novembre 2018 au 3 février 2019. Enfin, la Fondation Louis Vuitton, au Bois de Boulogne, près du Jardin d'acclimatation de Paris, dans le 16 e arrondissement, propose également une exposition sur Egon Schiele et Jean-Michel Basquiat du 3 octobre 2018 au 14 janvier 2019 (Jean-Michel Basquiat fut, lui aussi, un enfant terrible de l'avant-garde, laissant plus de 800 tableaux et 1 500 dessins à sa mort à l'âge de 27 ans, il y a trente ans, le 12 août 1988).
Egon Schiele, l’enfant tourmenté et sulfureux
Et voici pour terminer un extrait d'un écrit d'Egon Schiele : " L'artiste est surtout un être extrêmement doué au plan spirituel qui exprime des vues de phénomènes imaginables dans la nature. Qu'il soit explorateur lequel la nature d'abord approche et qu'il se montre pour être communiquée au monde. L'artiste ressent aisément la grande lumière tremblante, la chaleur, le souffle des êtres vivants, l'émergence et la disparition. Il devine la ressemblance entre les plantes et les animaux, entre les animaux et les humains, et la ressemblance entre l'homme et Dieu. Ce n'est pas l'érudit dévorant par ambition les livres, il est lui-même. La religion est pour lui un degré dans le ressenti. (...) C'est au-dehors dans la tempête automnale déchaînée ou bien tout là-haut sur les rochers où poussent pour lui de nobles fleurs, c'est là qu'il est à même de deviner Dieu. " ("Lequel d'entre les grands doués", traduit par Henri Christophe, éd. Agone).
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (31 octobre 2018)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Egon Schiele.
Banksy.
Marcel Duchamp.
Pablo Picasso.
Le British Museum et le monde des humains.
Yves Klein.
Le Tintoret.
Gustav Klimt.
Georges Méliès.
David Hamilton.
Paula Modersohn-Becker.
Auguste Rodin.
Margaret Keane.
Rouault et Matisse à Paris.
La garde rapprochée du Premier Empereur de Chine.
Un Renoir de la Côte d'Ivoire.
Magritte.
Daniel Cordier.
Boulez à Paris.
La collection Cordier à Rodez.
Soulages à Rodez.
Claude Lévêque à Rodez.
Caillebotte à Yerres.
Goya à Paris.
Brueghel à Paris.
Chagall à Paris.
Dali à Paris.
Van Gogh à Paris.
Hiroshige à Paris.
Manet à Paris.
Rembrandt à Paris.
Boltanski, artiste contemporain.
Boltanski au MacVal.
Egon Schiele, l’enfant tourmenté et sulfureux
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20181031-egon-schiele.html
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2018/10/31/36829218.html


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Sylvainrakotoarison 1208 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazine