L’eau qui a rencontré la mer ne retrouve jamais sa première douceur.
Un poète persan.
Pitié de moi ! j’étais l’eau douce ;
Un jour j’ai rencontré la mer ;
À présent j’ai le goût amer,
Quelque part que le vent me pousse.
Ah ! qu’il en allait autrement
Quand, légère comme la gaze
Parmi mes bulles de topaze
Je m’agitais joyeusement.
Nul bruit n’accostait une oreille
D’un salut plus délicieux
Que mon cristal mélodieux
Dans sa ruisselante merveille.
L’oiseau du ciel, sur moi penché,
M’aimait plus que l’eau du nuage,
Quand mon flot, plein de son image,
Lavait son gosier desséché.
Le poète errant qui me loue
Disait, un jour qu’il m’a parlé :
« Tu sembles le rire perlé
D’un enfant qui jase et qui joue.
« Moi, je suis l’ardent voyageur,
Incliné sur ta nappe humide,
Qui te jure, ô ruisseau limpide,
De bénir partout ta fraîcheur. »
Doux voyageur, si ta mémoire
S’abreuve de mon souvenir,
Bénis Dieu d’avoir pu me boire,
Mais défends-toi de revenir.
Mon cristal limpide et sonore
Où s’étalait le cresson vert
Dans les cailloux ne coule encore
Que sourdement, comme l’hiver.
L’oiseau dont la soif est trompée
Au nuage a rendu son vol,
Et la plume du rossignol
Dans mon onde n’est plus trempée.
Cette onde qui filtrait du ciel
Roulait des clartés sous la mousse...
J’étais bien mieux, j’étais l’eau douce,
Et me voici traînant le sel.
Marceline Desbordes-Valmore
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