Richard Rognet et Jean-Pierre Vallotton
Deux années sur trois, le Prix de Poésie de la Fondation Pierrette Micheloud est décerné à un poète qui a publié un recueil de poèmes dans l'année précédant l'attribution, soit entre le 1er juillet et le 30 juin.
Cette année le lauréat est Richard Rognet, dont le recueil Les frôlements infinis du monde a paru chez Gallimard le 15 mars. Hier soir, au Bourg, à Lausanne, le prix d'un montant de 20'000 francs, lui a été remis à l'issue d'un entretien avec Jean-Pierre Vallotton.
Jean-Pierre Vallotton
Dans sa présentation du poète, Jean-Pierre Vallotton, qui est à la fois membre du Conseil de la Fondation et Président du Jury, souligne qu'il émane de ses poèmes une forte présence au monde et une grande dilection pour la Nature et, plus particulièrement, pour les oiseaux et les arbres:
A la cime des branches de pin,
Le ciel rend des comptes à la terre.
Richard Rognet soigne les épigraphes et dédicaces de ses recueils. Ainsi, dans son dernier opus, cite-t-il Pentti Holappa, Willem Van Toorn et Tarjei Vesaas: sa présence au monde n'est pas réservée à la faune et à la flore, mais à la diversité humaine. Ainsi dédie-t-il cet opus à Alain Haller et à Béatrice Marchal, laquelle a fait le déplacement à Lausanne avec lui.
Il n'y a pas de solution de continuité entre les différents recueils du poète. Leurs titres en sont d'ailleurs comme les traits d'union: le titre d'un recueil est tiré d'un poème du recueil précédent. Ce qui renforce, s'il en était besoin, l'unité de cette oeuvre rare.
Comme le dit un autre poète, surprendre est quelque chose qui est à la portée de n'importe quel écrivain, mais il est plus rare qu'il surprenne par la justesse, la clarté, l'équilibre, toutes qualités qui caractérisent les textes de Richard Rognet.
De plus, il n'y a non seulement continuité d'un recueil l'autre, mais il n'y a pas rupture non plus sur le fond. La poésie de Richard Rognet est une poésie de liaison, ce qui est peu commun aujourd'hui. Sans doute cela vient-il de sa parenté avec celle d'un autre poète.
Cet autre poète, Francis Jammes, apprécié de Gide et de Mallarmé, est comme lui un enraciné: Jammes dans les Pyrénées, lui dans les Vosges, qu'il n'a jamais vraiment quittées et où il vit encore aujourd'hui, à Dommartin-lès-Miremont.
Richard Rognet
Au cours de l'entretien avec Jean-Pierre Vallotton, le lauréat explique qu'écrire est un plaisir et une mutilation. En effet, les écrits n'expriment qu'en partie ce que l'auteur aimerait dire:
Que de cris sans écho sous les bruits
De la vie.
(Dans les méandres des saisons)
Il y a aussi une dépossession des écrits à partir du moment où ils sont publiés. Ils n'appartiennent dès lors plus à leur auteur, qui en fait l'abandon à autrui, c'est-à-dire à ses lecteurs qui se l'approprient malgré qu'il en ait.
Richard Rognet a commencé par lire les poèmes des autres avant de lire les siens. Il y a pris goût. Et il faut dire qu'il excelle dans cet art de lire: il lit avec sobriété, sans emphase, ce qui, paradoxalement, donne aux textes toute leur profondeur.
Hier soir, Richard Rognet lit d'abord des poèmes extraits de son dernier recueil et le courant passe entre lui et l'assistance recueillie, qui l'écoute en silence, religieusement.
Puis il lit des poèmes inédits qu'il a composés pour la journée d'études qui lui a été consacrée le 6 octobre 2017 à l'Université de Tours.
Enfin il lit des poèmes de Béatrice Marchal, une femme poète, qui a écrit sur lui un texte intitulé Richard Rognet ou "l'ailleurs qui veut vivre" et qui a beaucoup contribué à sa connaissance de lui-même.
Olivier Engler, Richard Rognet et Jean-Pierre Vallotton
Vient le moment de la remise du Prix de Poésie 2018 par le Président de la Fondation, Olivier Engler. Qui, dans son intervention, sans porter de jugement, prévoit que nous sommes à la veille d'un bouleversement sociétal d'envergure, en raison de la place toujours plus grande du digital.
Cette réflexion l'amène, lui l'homme des chiffres, à parler du besoin de lettres que les hommes auront pour supporter ce bouleversement et notamment de poésie: les poètes n'auront-ils pas leur rôle à jouer pour en stopper les éventuelles dérives?
Dans son remerciement, le poète, très ému, ne cède pas à la tentation de plaire, ni de déplaire. Il reste lui-même, c'est-dire d'une grande simplicité et d'une grande authenticité. Il sait trouver les mots qui communiquent cette belle émotion à celles et ceux qui l'écoutent...
Francis Richard