Là où les chiens aboient par la queue, d'Estelle-Sarah Bulle

Dans la famille il y a d’abord Hilaire, « l’un des Nègres les plus noirs de la contrée », et Eulalie, d’une famille de « Blancs-Matignon ». Ces deux-là ont eu trois enfants, Antoine, l’aînée, Lucinde, la puinée, et Petit-Frère, le dernier. Eulalie est morte quand Petit-Frère avait un peu plus de trois ans. Ce sont donc ses soeurs qui ont accompagné sa croissance, si on peut le dire ainsi. Petit-Frère, c’est le père de la narratrice, venu en Europe dans les années 1960, et vivant à Créteil, dans le Val-de-Marne. Entre Morne-Galant, là où les chiens aboient par la queue (cé la chyen ka japé pa ké), et Créteil, voilà le cadre géographique de ce livre. Il commence dans les années 1930 et s’achève à peu près de nos jours, un siècle donc et bien des kilomètres : ainsi va la famille. La nièce, narratrice, née à Créteil, veut comprendre son histoire et c’est auprès d’Antoine qu’elle en apprend le plus. Ah, Antoine, une belle grande femme, avec des chaussures d’homme, une femme libre à tous points de vue, un beau personnage de roman, aussi à l’aise à Morne-Galant, dans son enfance, qu’à Pointe-à-Pitre, que là où les bateaux la mènent pour ses affaires, ou encore à Montmartre. Elle raconte la guerre 39-45 vue de Guadeloupe, évoque celle d’Algérie, parle des émeutes de 1967 et des massacres dont Petit-Frère, alors en Europe, n’aura connaissance que beaucoup plus tard. C’est un livre essentiel, il me semble. On y est au coeur d’une famille, les trois enfants nés à Morne-Galant et vivant tous trois, au moment du récit, en région parisienne, attachés à ce bout de terre lointain qui a pris pour modèle la métropole. « Et toi ma fille, attends un peu. Dieu seul sait où tes enfants s’envoleront ».