à Martha Isabel Moïa
Ce soir dans ce monde
les mots du rêve de l’enfance de la mort
il n’est jamais « ça », ce que l’on veut dire
la langue natale châtre
la langue est un organe de connaissance
de l’échec de tout poème
castré par sa propre langue
qui est l’organe de la ré-création
de la re-connaissance
mais non celui de la résurrection
de quelque chose en guise de négation
de mon horizon de maldoror avec son chien
et rien n’est promesse
entre le dicible
qui équivaut à mentir
(tout ce que l’on peut dire est mensonge)
le reste est silence
sauf que le silence n’existe pas
non
les mots
ne font pas l’amour
ils font l’absence
si je dis « eau », boirais-je?
si je dis « pain », mangerais-je?
ce soir dans ce monde
extraordinaire silence, que celui de cette nuit!
ce qui se passe avec l’âme est-ce qu’on ne la voit pas
ce qui se passe avec l’esprit est-ce qu’on ne le voit pas
d’où vient-elle cette conspiration d’invisibilités?
aucun mot n’est visible
ombres
enceintes visqueuses où se cache
la pierre de la folie
couloirs sombres
je les ai parcourus tous
ô reste un peu plus parmi nous!
ma personne est blessée
ma première personne du singulier
j’écris comme qui… avec un couteau empoigné dans le noir
j’écris comme je suis en train de dire
la sincérité absolue continuerait étant
l’impossible
ô reste un peu plus parmi nous!
les ébrèchements des mots
en délogeant le palais du langage
la connaissance entre les jambes
qu’as-tu fais du don du sexe?
ô mes morts!
je les ai mangés, j’ai avalé de travers
j’en peux plus, de n’en pouvoir plus
des mots muselés
tout glisse
vers la sombre liquéfaction
et le chien de maldoror
ce soir dans ce monde
où tout est possible
hormis le poème
je parle
en sachant qu’il ne s’agit pas de ça
toujours, il ne s’agit pas de ça
ô aide-moi à écrire le poème le plus oubliable!
celui qui ne soit pas bon, même pas
à être inutile
aide-moi à écrire des mots
ce soir dans ce monde
Alejandra Pizarnik de Árbol de Fuego
Caracas, diciembre 1971.
Traduction : Carlos Alvarado