Urgence rabelaisienne
juillet 9th, 2008 Posted in CultureEntrer dans les vies très horrifiques de Pantagruel et de Gargantua, son père, n’est pas une mince affaire : il faut d’abord s’habituer à la prose rabelaisienne pour ensuite aller au-delà des apparences de l’histoire et pénétrer une à une les arcanes d’une œuvre dense, variée et profondément subversive, surtout lorsqu’on songe au contexte politico-religieux du XVIème siècle.
Maître Alcofribas Nasier (alias François Rabelais) le dit clairement dans le prologue :
«Mais il ne faut pas estimer avec cette légèreté les œuvres des hommes, puisque vous-mêmes dites que l’habit ne fait point le moine : tel est vêtu d’un habit monacal et qui n’est point un moine ; tel autre s’enveloppe d’une cape espagnole et qui n’est nullement Espagnol. C’est pourquoi vous devez ouvrir le livre et soigneusement en peser les déductions. Alors vous reconnaîtrez que le contenu a une valeur bien différente de ce que promettait la boîte ; c’est-à-dire que les matières qui sont traitées ici ne sont point aussi folâtres que le titre pouvait le laisser croire. Supposez même qu’il n’en soit pas ainsi : vous ne devez pas en rester là, comme au chant des sirènes. Ce que vous croyez dit de gaieté de cœur, interprétez-le dans un sens plus élevé.»
Il y aurait évidemment beaucoup de choses à dire sur le sujet. Mais le politburo préfère vous inciter au plaisir de la (re)découverte. Précisons simplement que le ton est déjà donné d’entrée lorsqu’on apprend que Gargantua est issu des amours d’un couple singulier pour l’époque : Gargamelle est en effet reine des Parpaillots (donc des protestants) et l’on en déduit que Grangousier est issu du camp d’en face (celui des catholiques). Gargantua est donc le rejeton d’un couple impensable, marqué du sceau de l’hérésie combattue par les «sorbonistes».
Dans notre époque où les «sorbonistes» ont cédé la place aux intégristes de tout poil, où caricaturer un prophète vous ravale au rang de la bête, il y a urgence à redécouvrir François Rabelais.
Voici encore un extrait qui vaut son pesant de cacahuètes et que l’on pourrait carrer sans complexe dans la belle gueule d’un Tariq Ramadan ou dans celles plus usées d’un Joseph Sitruk (remplacé depuis peu par Gilles Bernheim) ou d’un Philippe Barbarin. Dans cet extrait, Rabelais, médecin de son état, se moque de celles et ceux qui ne croient pas au fait que Gargamelle a été enceinte de Gargantua pendant onze longs mois :
«Pourquoi ne le croiriez-vous pas ? Parce que, dites-vous, il n’y a nulle apparence de vérité. Je vous dis que pour cette seule cause, vous devez le croire, en foi parfaite. Car les sorbonistes disent que la foi est l’argument des choses de nulle apparence.
Est-ce contre notre loi, notre foi, contre notre raison, contre la Sainte Ecriture? Pour ma part, je ne trouve rien dans la Bible qui aille contre. Mais si la volonté de Dieu eût été telle, diriez-vous, qu’il ne l’eût pu faire? Par grâce, n’embarrassez pas vos esprits de ces vaines pensées. Car je vous dis qu’à Dieu rien n’est impossible. Et s’il le voulait, les femmes, dorénavant, auraient leurs enfants par l’oreille.»
Rabelais raisonne par l’absurde, en utilisant la même posture intellectuelle que les obscurantistes, ses ennemis de toujours. Et le message est là dans toute sa limpidité : lecteur, si tu ne me crois pas, c’est que tu es déjà sur la mauvaise pente en utilisant ta raison et non ta foi. On notera au passage une pique en direction du Vatican qui, pour préserver le dogme de la virginité de Marie face aux dénégations de la Réforme, avait mandaté sans rire ses théologiens pour démontrer que Jésus était né de l’oreille de sa mère et non par le vagin.
A dévorer sans retenue avec un bon verre de vin bien sûr !
Rabelais, chez tous les bons éditeurs de livres de poche