Quoi donc ! ma lâcheté sera si criminelle ;
Et les vœux que j’ai faits pourront si peu sur moi,
Que je quitte ma dame, et démente la foi
Dont je lui promettais une amour éternelle ?
Que ferons-nous, mon cœur ? Avec quelle science
Vaincrons-nous les malheurs qui nous sont préparés ?
Courrons-nous le hasard comme désespérés ?
Ou nous résoudrons-nous à prendre patience ?
Non, non ; quelques assauts que me donne l’envie,
Et quelques vains respects qu’allègue mon devoir,
Je ne céderai point, que de même pouvoir
Dont on m’ôte ma dame on ne m’ôte la vie.
Mais où va mon fureur ? Quelle erreur me transporte,
De vouloir en géant aux astres commander ?
Ai-je perdu l’esprit, de me persuader
Que la nécessité ne soit pas la plus forte?
Achille, à qui la Grèce a donné cette marque
D’avoir eu le courage aussi haut que les cieux,
Fut en la même peine, et ne put faire mieux
Que soupirer neuf ans dans le fond d’une barque.
Je veux, du même esprit que ce miracle d’armes,
Chercher en quelque part un séjour écarté
Où ma douleur et moi soyons en liberté,
Sans que rien qui m’approche interrompe mes larmes.
Bien sera-ce à jamais renoncer à la joie
D’être sans la beauté dont l’objet m’est si doux :
Mais qui m’empêchera qu’en dépit des jaloux
Avecque le penser mon âme ne la voie ?
Le temps qui toujours vole, et sous qui tout succombe
Fléchira cependant l’injustice du sort,
Ou d’un pas insensible avancera la mort
Qui bornera ma peine au repos de la tombe.
La fortune en tous lieux à l’homme est dangereuse :
Quelque chemin qu’il tienne il trouve des combats ;
Mais, des conditions où l’on vit ici-bas,
Certes celle d’aimer est la plus malheureuse.
François de Malherbe