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L’opposition de la société civile au cartel du papier au Chili

Publié le 26 octobre 2018 par Infoguerre

L’opposition de la société civile au cartel du papier  au Chili

En août dernier la presse chilienne a révélé l’issue d’un conflit après deux ans de procédure  entre la CMPC qui est la première entreprise de papier du pays et  l’agence nationale chargée de la défense et de la promotion de la libre compétition dans l’économie chilienne. La sanction prise contre la CMPC résulte d’une accusation de collusion dans le secteur de la vente de papier toilette, dénoncée par des membres de la société civile chilienne.

Une entente d’une décennie entre les groupes CMPC et SCA

Le marché chilien du papier toilette est possédé par deux grands groupes industriels. D’un côté, CMPC, entreprise chilienne appartenant à la famille Matte. Tandis que de l’autre, SCA (anciennement PISA) d’origine suédoise. Ces deux entreprises possèdent à elles seules 90% du marché chilien du papier toilette. Par ces caractéristiques, une véritable concurrence entre les leaders du marché tendrait à faire baisser les prix. Malheureusement, par ce cartel ces deux entreprises ont pu vendre leurs rouleaux au prix fort. Cette collusion économique ne date pas d’hier puisqu’elle fut effective de 2000 à 2011 entre CPMC et PISA (en 2001 cette entreprise fut acheter par SCA d’origine suédoise d’où le changement de nom). Cette collusion s’explique par l’arrivée d’un nouvel entrant sur le marché, Acuenta. Une modification des profits poussa les deux gérants de l’époque Ruiz-Tagle pour PISA et Morel pour CMPC à établir un accord afin d’éviter une baisse des prix. Les entreprises se sont partagées le marché en fonction de leur vente passé, CMPC récupéra 76% tandis que SCA obtint 24%. La démarche de CMPC et SCA fut audacieuse. Au lieu de s’affronter directement, ils ont inversé le schéma classique de la libre concurrence afin accroître leur richesse et de contrôler le marché.

La sanction de l’Etat chilien

En 2015, l’agence qui s’occupe de la libre compétition dans l’économie chilienne, La Fiscalia Nacional Economica (FNE), envoie un projet de loi au Congrès qui a pour but de renforcer les amendes contre les entreprises qui tenteraient de s’accorder afin d’entraver la libre compétition. Peu de temps après, CMCP décida de s’auto-dénoncer afin de réduire la condamnation et de montrer sa bonne foi dans ce cas. En plus de s’être auto-dénoncée, les dirigeants ont apporté à l’agence les preuves de leur délit. Ce fut le même cas pour SCA quelques semaines après. Les négociations pour arriver à un compromis entre les différents acteurs furent longues et compliquées. CMPC fut condamné à reverser aux Chiliens majeurs (environ 12,5 millions d’individus) environ 10 euros par personne. De l’autre côté, SCA a été condamnée à payer une amende à l’État chilien de 18,3 millions de dollars. En août 2018, les Chiliens purent enfin toucher cette contribution après une longue attente (2015-2018). La société civile chilienne par l’intermédiaire des associations de consommateurs mais également par l’agence de la défense et de la promotion de la libre compétition montra sa force d’action. Ces acteurs de la défense s’opposèrent à l’une des familles les plus puissantes du pays. Cependant, pour la première fois dans cet état, les Chiliens ont obtenu gain de cause face à une élite puissante.

Le rôle des grandes familles industrielles au Chili et leur image publique

La structure économique du Chili est assez particulière comme le montre  les derniers chiffres de 2017 : 20% de la population chilienne produit 72% du PIB.  En effet, l’économie du Chili fonctionne sous le joug de plusieurs oligarchies familiales qui possèdent un panel d’entreprise dans les principaux secteurs attractifs. Ces familles sont des clans régnant sur des empires économiques. Les principales sont les Luksic, les Paulman, la famille de l’actuel Président Piñera, la famille Saieh et les Matte. Le cas de la collusion du papier toilette illustre bien ce spectre de  l’économique. L’entreprise CMPC appartient à la famille Matte, une des plus anciennes familles chiliennes. Cette famille a/avait une grande notoriété dans la société. L’affaire de la collusion économique entre son entreprise et celle de SCA, qui appartenait à un ancien ministre de Piñera, illustre le fonctionnement de l’économie chilienne. Quelques familles seulement dirigent l’économie d’un pays mais également la vie politique. Il y a une grande concentration du même milieu dans toutes les sphères dirigeantes du pays. Le cas de la famille Matte est intéressant à étudier et permet un éclairage sur la société chilienne. CMPC reçu, pour la première fois dans l’histoire économique du Chili, une véritable amende et punition alors que d’autres cas de la même ampleur se sont produits. Selon les propos d’Eliodoro Matte, ancien dirigeant du groupe, les syndicats et corporations ont profité de cette affaire pour redorer leurs images au détriment de la leur. La SOFOFA,  syndicat des entreprises chiliennes, lui a retiré ses droits d’adhésion le temps du procès en novembre 2015. Cette entreprise qui est la plus importante de production de papier a été lynchée par ses pairs afin d’atteindre directement les membres de cette famille. Cependant, en 2017, Bernardo Larrain Matte (fils et héritier du clan) fut nommé au post de président de cette organisation la SOFOFA.  Autrement dit,  ce syndicat après avoir retiré son soutien à CMPC lorsque celle-ci était sous les feux médiatiques, met à sa tête un membre Matte.

La révélation de ce type d’« accord » est négative pour l’image des groupes incriminés dans l’opinion publique. La famille Matte a été pointée du doigt par toute la société puisqu’il est difficile de dissocier l’entreprise de la famille. Elle a perdu la confiance et la crédibilité aussi bien du côté du marché que des consommateurs locaux. Les échanges commerciaux dans les grands secteurs de l’économie chilienne apparaissent tronqués et joués à l’avance. Les entreprises faisant la vie économique du Chili appartiennent à quelques familles qui sont également bien placées en politique et dans les administrations.

Juliette Bussière

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