Julie jure à tout le monde que ce qu'elle désire, c'est un homme doux, compréhensif, qui tiendra compte de ses opinions et qui partagera les tâches ménagères à part égale, un " homme rose " quoi. Au lit, il est prévenant et place le plaisir de sa partenaire avant le sien. Son conjoint est justement l'un de ceux-là et elle ne peut qu'en être satisfaite. Pourtant, quelque chose manque... Et Julie se retrouve parfois avec des ratées de désir. En même temps, elle se prend à rêvasser à un voisin célibataire et impénitent séducteur.
Marc, un homme tout ce qu'il y a de plus gentil et attentif, se sent, quant à lui, frustré de remarquer que les femmes semblent toujours préférer des hommes machos et égoïstes qui finissent immanquablement par les blesser.
Comment se fait-il que les femmes disent vouloir une chose mais semblent attirées par autre chose?
Avec l'avènement du mouvement féministe, les femmes ont compris qu'elles pouvaient et devaient demander l'égalité avec les hommes. Elles ont maintenant la possibilité d'aller se chercher des revenus au même titre qu'un homme et, par conséquent, de s'affirmer et de faire des choix de vie qui lui conviennent. Les tâches qui lui avaient traditionnellement été dévolues ne sont donc plus uniquement les siennes et, dans un couple, il est devenu évident que si elle consacre autant d'heures de travail que son conjoint, les tâches ménagères doivent réparties également entre les deux.
Apprenant donc à devenir responsables d'elles-mêmes, les femmes se sont mises à souhaiter un homme qui saura les considérer comme des égales (tout autant lors des premières rencontres que dans le cadre d'une vie de couple ou au niveau du lit), qui saura négocier les prises de décisions concernant les deux et qui saura les respecter dans leurs choix personnels (plutôt que de décider seul pour elles et pour la famille). Logiquement, il leur faut donc orienter leur recherche d'un partenaire amoureux vers ce qu'on appelle communément " l'homme rose ".
Toutefois, les messages que les femmes reçoivent continuellement depuis leur plus tendre enfance valorisent l'homme viril, macho. Un homme tellement sûr de lui qu'il prend les décisions sans avoir besoin de consulter les autres et qu'il impose ses désirs sexuels, étant certain que l'autre les partage de toute façon. Un homme viril est un " Homme ", un Vrai, du moins selon les messages reçus. Être choisie par un tel homme ne peut que confirmer la féminité de la femme qui est choisie. Et qui dit masculinité et féminité dit sexualité. En effet, le sentiment d'être féminine est un élément important du désir sexuel chez la femme (tout comme le sentiment d'être masculin l'est chez l'homme).
Ainsi, l'homme rose fait pitre figure lorsqu'il est comparé à l'image valorisée de l'homme viril. Attentif
aux désirs et besoins de sa partenaire et la laissant souvent choisir ce qu'ils feront ensemble, il ne cherche pas à s'imposer comme le fait l'homme macho et, par un curieux retour des choses, il est perçu comme incapable de s'affirmer. On dit d'ailleurs de l'homme rose qu'il manque de colonne vertébrale. Les hommes se retrouvent donc placés dans une double contrainte : d'une part, leur attitude doit en être une d'égalité vis-à-vis de leur partenaire et, d'autre part, ils doivent se montrer sûr d'eux et prendre leur partenaire en charge (comme le ferait l'homme
viril).
En matière de sexualité, les choses ne s'arrangent pas non plus. En grande partie à cause des stéréotypes et peut-être aussi en partie à cause d'instincts d'ordre biologique (il est difficile de faire exactement la part des choses à ce niveau), hommes et femmes s'attendent traditionnellement à ce que ce soit l'homme qui prenne les initiatives lors des activités sexuelles.
Mais, suite à certains discours féministes, plusieurs hommes se sont mis à avoir peur d'être perçus comme des agresseurs lorsqu'ils montraient trop directement leur intérêt face à une femme et lorsqu'ils prenaient eux-mêmes les initiatives de la relation sexuelle. Dans leur désir de la respecter, ils
craignent maintenant de bousculer la femme, de lui déplaire. Souvent, même, ils n'osent plus affirmer leur désir sexuel, le percevant comme bestial et comme devant être nié au profit d'une seule sexualité de tendresse basée sur la satisfaction des besoins de la partenaire. Bien qu'à prime abord, cela semble un beau programme pour la femme, à la longue la sexualité de couple devient ennuyante car l'aspect sexuel génital (le sexe pour le sexe) est aussi partie essentielle de la sexualité et il vient à manquer.
C'est alors que la femme se met à rêver à l'homme " macho " qui pourra l'amener dans les hautes sphères de l'extase sexuelle. Attirée par lui, elle se laisse alors parfois prendre au piège. Néanmoins celui-ci, par définition, ne pense généralement qu'à la satisfaction de ses désirs et refuse de s'engager dans une relation à long terme. Ou alors, lorsqu'il le fait, il tente de dominer sa partenaire. Ce qui produit une situation dans laquelle la femme est malheureuse et souvent blessée.
Comment faire, donc, pour se retrouver dans tout ça? Il est important, d'abord :
de prendre conscience de ses contradictions quant aux attentes que l'on a face à notre partenaire, d'identifier ce qui est désirable et ce qui ne l'est pas dans chacun des deux types d'hommes, de reconnaître les motivations qui nous amènent à souhaiter telle ou telle qualité chez notre partenaire et de s'observer réagir aux particularités de notre partenaire actuel.
En fait, parfois, notre partenaire réussit à être assez bien équilibré entre l'homme rose ou l'homme macho, mais comme nos attentes sont contradictoires, nous avons tendance à nous sentir déçues face aux attitudes et comportements de notre partenaire, quelqu'ils soient, étant donné que l'une des deux
attentes se retrouve, par la force des choses, insatisfaite.
Pour bien des femmes, finalement, l'idéal d'homme se retrouverait à mi-chemin entre l'homme rose et l'homme macho. Toutefois, il est aussi essentiel, en tant que femme, de reconnaître nos propres difficultés et d'apprendre à les dépasser plutôt que de blâmer automatiquement notre partenaire pour nos insatisfactions.
Pour beaucoup de femmes, cela signifie apprendre à reconnaître leur propre désir sexuel et à l'affirmer, d'apprendre à trouver plaisir dans l'aspect génital de la sexualité plutôt que de ne valoriser que l'aspect tendresse de la sexualité et de prendre les initiatives sexuelles de temps en temps, plutôt que de toujours attendre de l'homme qu'il les prenne en charge lors des jeux amoureux.
(Chronique parue dans la revue Bonne Santé)