Donnez-lui de la black ink, de l’encre noire, la pâte de tomates la moins chère du marché mondial, et indiquez-lui le pourcentage de matière première que vous souhaitez mettre dans une boîte de conserve. C’est promis, le chimiste des Liu trouvera la recette idoine, les taux optimaux d’additifs qui rendront le produit présentable. L’affaire n’est pas aisée: lorsque l’on rajoute beaucoup d’eau à du triple concentré chinois de couleur noir, il faut aussi ajouter de l’amidon, ou de la fibre de soja. Si l’on ajoute de l’amidon, le mélange s’éclaircit trop. Si le mélange s’éclaircit trop, il faut ajouter des colorants. Si l’on ajoute des colorants, la pâte peut perdre en viscosité, ou ne plus ressembler à du concentré de tomates. Seul un spécialiste est à même de trouver la juste proportion de chaque ingrédient. Sa toute dernière recette? 31% de concentré, pour 69% d’additifs.Le livre est une nouveauté au Prix Albert Londres - attribué à ce support du reportage pour la deuxième fois seulement. On connaît mieux ses déclinaisons pour la presse écrite - cette année, Elise Vincent, du Monde, pour une série d'articles - et pour l'audiovisuel - Marjolaine Grappe, Christophe Barreyre et Mathieu Cellard (Arte) pour Les hommes du dictateur, à propos de la Corée du Nord. La remise des prix s'est faite à Istanbul, joli symbole...
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A dire vrai, Albert Londres, dont vous suivez ici les articles à propos de la Grande Guerre, ne s'est pas vraiment occupé de la guerre de la tomate. Une guerre qui semble d'ailleurs derrière nous, et qui n'a certainement pas été gagnée par les consommateurs, si je suis Jean-Baptiste Malet dans son enquête mondiale sur L'empire de l'or rouge, c'est-à-dire sur la tomate d'industrie. Livre réédité au format de poche il y a quelques jours et qui vient de recevoir le Prix Albert Londres - et voilà pourquoi l'envoyé spécial du Petit Journal sur tous les fronts de 14-18 est mêlé bien malgré lui à cette sordide affaire.
Depuis une quarantaine d'années, je suis un fan absolu de la sauce bolognese, avec de simples spaghettis cuits al dente, sans fioriture. Mais aussi, suivant en cela les judicieux conseils d'une vieille Italienne dont j'étais amoureux de la cuisine (oui, de la cuisine seulement), sans autres tomates que fraîches. Surtout jamais de concentré, même pas de tomates pelées. Vous me direz: ce n'est pas toujours la saison, c'est vrai. Mais, hors saison, on peut manger autre chose et attendre les beaux jours pour retourner à ses amours.
Le livre de Jean-Baptiste Malet ne va pas me faire changer d'avis, bien au contraire. Car voici, dans un bref extrait, la chimie du concentré de tomates pratiquée à grande échelle (l'exemple est au Ghana, rassurez-vous ou ne vous rassurez pas, ce pourrait être ailleurs, la mondialisation de la tomate est une réalité).