Sans espace et sans temps
Je marche en dormant
Moins visible qu’un prince.
Comme un cri continu
Ou comme un parc mouillé
Ou comme un coup mortel
Ma blessure est ouverte.
La fumée du soleil
Le chant des inconnus
La petite herbe rase
Me servent de regard.
Ah ! Chanterai-je une fois mon malheur
Ma tristesse et ma colère ?
Ou des champs et des sillons de boue
Me feront-ils toujours taire ?
N’en saurai-je pas plus qu’un grillon
Qui en lui-même désespère
Humblement carrossé de charbon
Et criant seul dans sa chair ?
Ou comme un homme enfin brisé
Et même muet et même presque mort
Pousserai-je le vrai cri
Qui me rattrapera de mon sort ?
Pauvre corps mal nourri
Tâche un peu de mieux faire-
Accepte tout et défais-toi
Donne à ma voix ta matière.
***
Pierre Morhange (1901-1972) – La Vie est unique