Encore un coup d’épée
(De l’envoyé spécial du Petit Journal.) Front britannique, 14 octobre. Ils demandent la paix, mais là-haut était le vieux Plumer, le vieux Plumer est toujours là-haut, et ce matin il leur a refait la guerre. Et les Français des Flandres étaient là aussi et Albert Ier n’était pas non plus absent et l’attaque au petit jour s’est déclenchée. Le nord est toujours le même, c’est-à-dire la patrie de la pluie. Il avait plu jusqu’à ce matin, comme il repleuvra demain, mais ce matin le temps était beau. Le temps l’était, mais non les routes. Lamentables, les routes. Qu’on y avait travaillé, pourtant ! Les Allemands comptaient sur la pluie comme sur Ludendorff. Et comme lui, elle les a trahis. Pour ce qui est des Anglais, leur attaque s’étendit sur quinze kilomètres, entre Roulers et Comines, direction de Courtrai. Grave opération, dans le flanc de l’armée allemande et, comme nous ne parlons pas en chirurgien, d’autant plus grave qu’elle réussirait. Aussi l’armée qui réclame l’armistice se cramponna de toutes ses dernières forces. Plumer, qui en a vu d’autres, dit que la résistance fut considérable. C’est à ses mitrailleurs que l’Allemagne a confié sa fortune en désordre. Je ne sais quel ordre du jour elle leur a adressé, mais les termes doivent en être désespérés, mais elle doit se livrer toute pantelante entre leurs mains, car les mitrailleurs allemands ont répondu. Ultime rempart, ils se laissent abattre, mais ne cèdent pas. Ce sont les collaborateurs les plus directs et les plus urgents de Max de Bade. D’eux dépendent toutes les tentatives impériales de sauvetage. Plus ils tiendront, plus le chancelier aura de temps, et plus il aura de temps plus il pourra risquer de ruses. Ils ont aussi face à Courtrai demandé ce service à un fameux régiment de cavalerie, le sixième. Les tommies, nos amis, ont compris la manœuvre. La preuve c’est qu’ils ont dénommé ces mitrailleurs et ce régiment « War Prolongers » ce qui veut dire « gens qui prolongent la guerre », Ce qu’ils ne prolongent pas en revanche, c’est leur vie, puisqu’ils tiennent, on les tue et on passe. Il y a moins de prisonniers et plus de cadavres et ça fait le compte. Compte de jour en jour plus sinistre à force d’additionner comme nous le faisons de la Meuse aux Flandres. C’est sur Courtrai que ce matin nous avons pointé l’épée. Courtrai est placé de telle façon que s’il se met à tomber, il fera le plus grand mal à Tourcoing, Roubaix et Lille. Pour débuter, nous voilà aux portes de Menin, mauvais aussi pour la santé des trois grandes villes françaises, Menin ! et à la station de Roulers. C’est-à-dire qu’une fois de plus on a réussi, que leur ligne est crevée, qu’il est au-dessus des forces de leurs mitrailleurs de collaborer à leurs duperies et qu’où nous le décidons, à notre aise, nous leur fouillons le corps.
Le Petit Journal
, 15 octobre 1918.Dans la même collection
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