Critique de La Convivialité, de Arnaud Hoedt et Jérôme Piron, vu le 13 octobre 2018 au Monfort
Avec Arnaud Hoedt et Jérôme Piron, dans une mise en scène de Arnaud Pirault, Clément Thirion, Dominique Bréda
La découverte de ce spectacle vient d’un hasard total : c’est en discutant écriture inclusive avec Julia Passot, qui travaille au Théâtre du Rond-Point, qu’elle me parle de ce spectacle présenté il y a quelques années au Festival OFF et qui revient sur les critiques faites aux règles de français aujourd’hui. Moi qui défends cette langue et lutte contre les nouvelles lubies simplificatrices ou inclusives de notre temps, me voilà intriguée. Et même si je doute qu’on parvienne à me convaincre sur le sujet, j’aimerais quand même entendre ce que ces deux jeunes belges ont à nous dire.
Pourquoi le français comporte-t-il toutes ces exceptions ? Pourquoi continuons-nous à souffrir des ces choux, hiboux, cailloux et genoux alors que les gnous suivent la règle d’accord ? D’où vient cette contrainte étrange qui transforma les cheveus en cheveux ? Avez-vous remarqué comme le français accumule les marques de pluriel comparé aux autres langues ? Avez-vous remarqué qu’en français, le son [s] peut s’écrire de 13 façons différentes ? Avez-vous compris les règles, les avez-vous intégrées, ou vous embêtent-elles au quotidien ? Le spectacle soulève les incohérences, les exceptions, les difficultés imposées par les règles d’écriture du français, et cherche quasiment à les décrédibiliser.
Tout commence par une dictée. C’est bien, j’ai toujours adoré ça. Je suis très confiante ; j’apprendrai par la suite que j’ai fait une faute. Tant mieux, le spectacle m’aura au moins appris que le mot baratin ne prend qu’un « r ». Pour le reste, je ne sais pas ce que j’y apprends. Ou plutôt non : je ne sais pas ce que ça va changer. Les deux compères font une démonstration quasi-mathématiques pour prouver que les règles d’aujourd’hui ne sont pas ou plus pertinentes, qu’elles relèvent d’erreurs du passé, qu’elles ne sont pas tellement liées à l’histoire de la langue.
Alors oui, c’est vrai, j’entends. Et je vois, car ce spectacle-conférence sait utiliser des outils pour convaincre : lorsqu’on propose de nouvelles orthographes aux spectateurs, un algorithme enregistre en temps réel les réponses pour donner le pourcentage de validation et de refus de la salle. Un autre algorithme trouvera 240 façons d’écrire un mot inventé par les comédiens. Un autre enfin proposera une orthographe aléatoire à l’écoute d’un son. Mais tout cela est totalement extrême, et je me situe à l’autre extrémité. Réfractaire à ce changement, me voilà à me bloquer complètement.
Plusieurs choses m’ont gênée dans ce spectacle. D’abord, il manque un contradicteur, car si les arguments présentés sont pour la plupart recevables, ceux de l’autre bord, le mien, le seraient tout autant. Et puis, certaines affirmations me semblent exagérées – on est parfois pas si loin du point Godwin. Ensuite, il y avait des scolaires dans la salle ce soir-là. Je trouve ça très chouette d’emmener des scolaires voir ce genre de spectacle. Mais devant leurs réactions, je ne peux m’empêcher de constater que, pour eux, simplifier l’orthographe ne vient que satisfaire leur flemme d’apprendre. Je ne peux m’empêcher d’y voir un certain nivellement par le bas : on prend le niveau actuel des élèves, on se rend compte qu’ils n’arrivent plus à intégrer certaines règles, alors on les supprime. Et j’ai mal.
Il y a de l’idée. Mais il en manque certaines aussi.