Malgré un demi-siècle de scandales et de multiples procès le géant multinational du phytosanitaire, Monsanto, continue à dominer le marché, notamment en menant une bataille informationnelle contre ses détracteurs, base de son lobbying. Le glyphosate est l’insecticide le plus utilisé dans le monde (130 pays et 750 produits). Autrefois propriété du géant multinational Monsanto, le brevet est tombé dans le domaine public dans les années 2000, ce qui fait qu’il est actuellement produit et utilisé par de nombreux acteurs, aussi bien pour l’agriculture que pour la lutte contre les mauvaises herbes en milieu urbain. En Europe, les autorisations de mises sur le marché pour ce type de produits sont à renouveler tous les 15 ans et pour prendre sa décision à ce sujet pour la période 2016-2031, l’Union Européenne a été confrontée à de profondes divergences. Divergences d’abord entre ministres européens de l’agriculture et ceux de l’environnement mais aussi habiles manœuvres pour se positionner sur le futur marché des remplaçants du glyphosate.
Une victoire de l’action diversifiée des ONG
Les ONG (Greenpeace, Avaaz, Friends of The Earth, Earth Open Source) qui tentent depuis de nombreuses années de faire interdire ce produit en s’attaquant principalement à Monsanto, société symbole des OGM (Organisme génétiquement modifié). Ces ONG mettent en avant de façon systématique les études scientifiques montrant les potentiels effets néfastes du glyphosate soit sur la santé (cancérigène) soit sur l’environnement. Ce qui a obligé Monsanto à retirer la mention « biodégradable » sur le RoundUp.
Tout d’abord, les ONG ont cherché à influencer les opinions publiques, espérant que ces dernières auront un impact direct ou indirect sur les décideurs politiques. Elles y parviendront tout d’abord en exposant leur nouveau combat sur leur site internet, afin de sensibiliser les personnes y ayant accès pour qu’ensuite, ces dernières puissent sensibiliser leur entourage. Une fois que le nombre de personnes proches de ces associations auront été informées, les ONG organiseront des manifestations, conjointement avec une prise de contact avec les médias traditionnels afin que leur message soit le plus entendu. Il convient d’ajouter que les manifestations organisées ont aussi bien pour but de gagner en visibilité que de faire infléchir les décideurs politiques.
C’est ce qu’a entrepris Avaaz, en orchestrant des manifestations à Bruxelles pendant la période de négociation sur le glyphosate en mai 2016, cela couplé à la remise d’une pétition signée par près de 1,4 millions de personnes au parlement européen. L’ONG s’est également servie de ses milliers de membres moins actifs (ceux ne se contentant que d’actions depuis leur domicile) afin de les encourager à envoyer des messages et appels aux parlementaires européens et membres de leurs gouvernements respectifs pour faire infléchir leurs positions. Le groupe estime que cela, avec le soutien d’ONG locales, a permis de faire changer la position de pays qui étaient plutôt favorable au glyphosate tel que l’Allemagne, l’Autriche, le Grèce, le Portugal, la Suède et l’Italie. En comparaison, Greenpeace, plus habituée aux actions chocs, a mené une offensive de moindre envergure et similaire sur certains points à celle d’Avaaz avec une pétition et diverses déclarations médiatiques comme la dénonciation du nouveau rapport de l’OMS.
Greenpeace a, quant à elle profité de la décision du CIRC pour intenter, aux Etats-Unis, un procès à l’encontre de Monsanto sous la forme d’une Class Action de travailleurs agricoles. Ce procès a permis la déclassification de documents internes à Monsanto abordant le sujet de la dangerosité du glyphosate.
La résistance des groupes industriels par le recours systématique au lobbying
En face d’eux se trouvent les différents acteurs défendant les intérêts des entreprises productrices de pesticides (Monsanto en tête et de nombreuses entreprises allemandes) ainsi que des organisations d’agriculteurs. Sous l’égide des premières, les différents lobbyistes se sont réunis pour former la Glyphosate Task Force (GTF) afin de gagner en efficacité et en lisibilité. Pour contrer la publicité négative entreprise par les ONG environnementales, le groupe a lancé, à son initiative, un site pour sensibiliser le grand public sur le glyphosate et ses effets tels qu’ils sont présentés par les principaux acteurs du secteur des pesticides. Il y est décrit que « L’ensemble des évaluations effectuées par des autorités réglementaires du monde entier, pendant plus de quarante ans, ont confirmé que le glyphosate ne pose aucun risque inacceptable pour les humains, les animaux, ni l’environnement. », ce qui permet même d’inclure l’étude du CIRC classant le glyphosate comme cancérigène car la notion de « risque inacceptable » couvre une définition large. La Glyphosate Task Force a également entrepris, par la voix de Richard Garnett (lobbyiste de Monsanto et chef de la GTF) des opérations de communication plus directes à l’attention des médias et des particuliers pour se lamenter de la politisation du dossier ainsi que des échecs des pays européens à s’entendre et des conséquences catastrophiques qu’aurait, selon eux, une interdiction du glyphosate sur l’agriculture européenne du fait de l’absence d’alternative à cet herbicide.
Face au dilemme de satisfaire soit l’opinion publique soit les agriculteurs, l’Union Euroépenne a été amenée à prolonger l’autorisation de mise sur le marché européen de ce produit de 18 mois seulement.
Les précédents judiciaires
Pour rappel, dans les années 1970, des soldats du Vietnam ouvrent une Class Action contre les producteurs de l’agent orange. Monsanto se retrouve, au côté de six autres entreprises, accusé principal d’un procès en réparation pour empoisonnement. En 1987, les sept producteurs de l’agent orange sont condamnés à verser 180 millions de dollars à un fonds de compensation destiné aux soldats américains. Durant le procès, Monsanto présentera des études scientifiques démontrant l’absence de lien entre l’exposition à la dioxine et les nombreux cancers dont souffraient les vétérans, pour les débouter de leur action. Il sera démontré au début des années 1990 que ces études se fondant sur les conséquences de l’explosion de l’usine de Nitro en 1949 étaient biaisées. Cette fraude scientifique sera confirmée par le National Research Council, qui constate que les études de Monsanto « souffraient d’erreurs de classification entre les personnes exposées et non exposées à la dioxine, et qu’elles avaient été biaisées dans le but d’obtenir l’effet recherché ». L’affaire sera relatée en 1990 par Greenpeace et le chercheur Joe Thornton dans un rapport intitulé Science for Sale .
Autre revers judiciaire, la publicité ayant pour message : « Roundup ne pollue ni la terre ni l’os de Rex », a valu à Monsanto d’être condamnée deux fois, aux Etats-Unis et en France, pour des mentions mensongères placées sur l’emballage de cet herbicide total (qui élimine toutes les plantes). En 1975, l’entreprise lance sur le marché Roundup, un herbicide très puissant présenté comme « biodégradable » et « bon pour l’environnement ». En 1996, le procureur de New York condamne Monsanto à une amende de 50 000 dollars et au retrait des mentions jugées mensongères. En janvier 2007, la firme est condamnée en France pour les même motifs à 15 000 euros d’amendes.
Un documentaire canadien, The Corporation, raconte comment Monsanto a fait pression sur Fox News (groupe Murdoch) pour l’empêcher de diffuser une enquête dévoilant les dangers du Posilac en 1997. Cet extrait illustre le lobbying particulièrement agressif de la firme : non seulement l’enquête n’a jamais été diffusée, mais ses auteurs ont été licenciés par la chaîne.
Imane Gabbaz
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