Une fois n'est pas coutume, nous allons nous attarder sur une entreprise à la réputation sulfureuse, qu'elle traîne depuis des lustres, et tout particulièrement depuis la fin du siècle dernier. C'est à peu près à ce moment que l'Union de Banques Suisses et la Société de Banque Suisse ont fusionné, pour créer un géant de la gestion de fortune, le plus important au monde. L'histoire d'UBS remonte pourtant à la nuit des temps, en 1854, lorsque six banques de gestion de fortune helvétiques créent un consortium nommé "Bankverein" à Bâle. Mais depuis une vingtaine d'années, UBS est devenu aux yeux du grand public, en bonne partie à raison, tout ce qu'il y a de plus détestable dans le système financier, à savoir évasion fiscale, fraude systématique, fonds juifs en déshérence, etc. A l'image de ses dirigeants de l'époque, Marcel Ospel en tête, elle a fait preuve d'une arrongance et d'une suffisance déplorables à l'égard du peuple et de ses élites. Pourtant c'est la Confédération et la BNS qui durent la sauver en 2008. Par ses agissements UBS porte à coup sûr une part de responsabilité dans la fin du secret bancaire, valeur suisse cardinale durant des siècles. Aujourd'hui encore, elle traîne des vieilles casseroles à cause ses agissements et de sa réputation, avec des procès qui perdurent dans plusieurs pays.
Cette image déplorable a pourtant un côté positif pour les investisseurs. UBS, malgré sa taille énorme, est boudée par les marchés, ce qui la rend attractive du point de vue de son prix. Le géant financier suisse s'échange en effet à :
- 14.15 fois les bénéfices récurrents courants
- 13.65 fois les bénéfices récurrents moyens
- 1.08 la valeur comptable
- 1.24 fois les actifs tangibles
Le rendement en dividendes est par ailleurs particulièrement généreux, avec 4.36%, alors même que le ratio de distribution n'est que de 61.73% par rapport aux bénéfices courants (et de 59.54% par rapport aux bénéfices moyens). De plus, non satisfaite de cette générosité, UBS a fait progresser ses distributions sur un rythme impressionnant de 21.06% par an en moyenne (ces cinq dernières années).
Franchement, si l'analyse s'arrêtait là, on se jetterait dessus. Mais avec les banques, il faut toujours se méfier des apparences, car elles peuvent être très trompeuses. Les investisseurs du début du 21e siècle s'en souviennent. En effet, derrière ces chiffres alléchants se cachent une réalité nettement moins rose. UBS possède une fâcheuse tendance à afficher un free cash flow dans le rouge. Des flux de trésorerie libre négatifs ne sont certes pas extraordinaires avec les banques, à cause de leur mode de fonctionnement particulier basé sur la dette, qui offre un effet de levier important. Les flux d'argent peuvent varier assez fortement d'une année à l'autre. Ce qui est particulier chez UBS c'est que le free cash flow oscille certes beaucoup sur le long terme, mais avec un biais négatif. Sur les cinq dernières années, il a été une fois fortement positif (2013), deux fois tout juste positif (2014 et 2015), une fois bien négatif (2016) et une fois fortement négatif (2017). La tendance est donc plutôt mauvaise... Il faut noter aussi qu'un FCF négatif ce n'est pas très bon pour le dividende, qui a d'ailleurs baissé chez UBS depuis 2015.
Un autre indicateur, reconnu pour sa fiabilité, vient également nous donner un nouvel éclairage sur cette valorisation en apparence attractive d'UBS. L'EBITDA ne se monte en effet qu'à 1.87% de la valeur d'entreprise, ce qui est apparemment contradictoire avec le PER assez bon marché indiqué ci-dessus (on devrait en effet avoir des chiffres plus proches de 10% pour l'EBITDA/EV). Ceci s'explique néanmoins facilement par la structure du capital d'UBS, fortement marquée par la dette. En effet, celle-ci se monte à 4.43 fois les capitaux propres, ce qui est très important, même pour une banque. De plus cette dette n'a pas tendance à décroître, bien au contraire, à l'inverse des actifs qui baissent lentement, mais sûrement. La banque suisse possède indéniablement quelques difficultés à créer de la valeur, ce qui se traduit par un cours qui végète depuis une dizaine d'années. La rentabilité n'est d'ailleurs pas au rendez-vous, avec un ROA de seulement 0.43 ( en légère hausse tout de même) et un ROE de 7.65%.
Bref, avec UBS, on a la vague impression d'être en face d'un accidenté de la route, qui vit dans le coma depuis une dizaine d'années. L'entreprise survit, mais n'arrive pas à se réveiller et encore moins à se relever. Si l'on doit garder une image positive de tout cela, c'est que son cas semble plus ou moins stabilisé. La volatilité du cours actuellement, avec 9%, pourrait même faire pâlir des valeurs défensives. Et puis, même si le dividende n'est pas à l'abri d'un ajustement à la baisse, il reste particulièrement généreux. Incontestablement, UBS est toujours convalescente, et donc boudée par les investisseurs, en bonne partie à raison. Sa valorisation par rapport à ses bénéfices, alléchante, est à prendre avec des pincettes car contrebalancée par un FCF négatif et une structure du capital fortement basée sur la dette. Par contre, le prix par rapport aux actifs est particulièrement intéressant et explique aussi pourquoi le cours s'est stabilisé depuis plusieurs années, à un bas niveau.
L'Histoire nous a souvent offert des situations de ce type. Des entreprises qui ont vécu l'enfer et ont végété durant de nombreuses années, boudées par le marché, avant de renaître. Mais parfois, il leur faut très longtemps pour redécoller, parfois elles stagnent pour toujours et parfois elles finissent tout de même par mourir. Si UBS possède une qualité incontestable qui puisse aller dans son sens, c'est son histoire précisément. A condition qu'elle ne l'ait pas oubliée.