Appréhender les besoins de ses clients est un préalable essentiel à toute démarche de création ou d'innovation, pour espérer délivrer un produit utile et utilisé. Mais la connaissance ne suffit pas : il faut également comprendre les besoins pour ne pas apporter une fausse solution. Voici un exemple presque caricatural avec Bank of America.
En préambule, je souhaite mentionner une petite précision : le cas que je vais décrire ici ne repose certainement pas sur une mauvaise idée en soi et le détournement sur lequel je vais m'appesantir est plus probablement dû aux responsables de la communication qu'aux concepteurs de l'application mobile dont il est question. Il constitue cependant une démonstration de l'état d'esprit des banques en général (et de Bank of America en particulier), en tant qu'organisations, vis-à-vis des attentes de leurs clients.
Commençons donc par décrire le problème auquel l'institution a décidé de s'attaquer. Inspirée par des études de marché révélant qu'une grande partie des consommateurs préfèrent gérer leur patrimoine depuis une plate-forme unique (la demande devenant même majoritaire parmi les personnes disposant de plus d'1 million de dollars d'actifs), elle voulait trouver un moyen de réduire les frictions de son offre existante, répartie entre Bank of America, Merrill Lynch (portefeuille financier) et Merrill Edge (trading).
La solution qu'elle apporte avec la nouvelle version de son application mobile consiste donc à… permettre à l'utilisateur de basculer d'une application à l'autre, sans avoir à s'authentifier dans chacune (sachant que l'accès par empreinte digitale est déjà disponible dans les 3) ! Que ce soit là une petite amélioration de confort n'est pas discutable. Que cette capacité soit mise en avant (en sous-titre de la communication) comme une réponse à l'enjeu de centraliser la gestion de patrimoine est en revanche très excessif.
L'initiative donne ainsi l'impression d'être l'un de ces projets tellement fréquents dans lesquels personne ne s'est sérieusement penché sur ce que pouvait signifier et sous-entendre l'exigence exprimée par le client. Immédiatement, une réponse aussi simple et peu coûteuse que possible est mise en œuvre. En l'occurrence, la première attente des personnes fortunées est de disposer d'une vue à 360° de leur patrimoine, que la mise à jour de Bank of America introduit également, mais qui est sottement mise en retrait.
Au-delà de cette analyse superficielle, il resterait encore à approfondir la compréhension des résultats des études. Si le désir d'une plate-forme unifiée est à prendre au sens littéral, parce que, peut-être, les utilisateurs ne savent pas toujours quelle application leur permettra de réaliser telle ou telle action, la nouveauté ne sera d'aucun secours. Et si, en creusant encore la question, il s'avérait que c'est l'agencement des fonctions des applications qui est en cause ? Ne faudrait-il pas alors d'abord revoir leur conception ?
L'art de savoir répondre aux besoins des clients ne s'improvise pas et, surtout, ne peut jamais se contenter de préjugés sur ce qu'ils expriment. Dans le cas de Bank of America, le trait est, bien sûr, un peu forcé, mais combien de projets sont initiés et menés jusqu'à leur terme sur la foi d'une enquête utilisateur, voire d'une intuition, dont nul ne vérifie la véracité des hypothèses ni n'en recherche les motivations cachées ?