Pour nous, la Californie est un concentré du mythe américain. Etat le plus riche et le plus peuplé des Etats-Unis, il semble disposé de tous les atouts économiques : la Silicon Valley, qui a vu naitre Apple, l'université de Berkeley, une puissante industrie cinématographique à Hollywood. Sa population incarne le fameux melting polt, en mêlant populations blanches (hispaniques ou non), population d'origine asiatique et amérindienne. La Californie possède une réputation de tolérance qui attire, dans les années 1950, de jeunes écrivains, dont Jack Kerouac et Allen Ginsberg, dans un refus commun des contraintes sociales de la côte Est. Précédées par cette révolte littéraire, les années 1960 mêlent la contestation de la jeunesse estudiantine contre une société conformiste dominée par l'argent, et les revendications sociales des laissés-pour-compte de cette société : Indiens spoliés, Noirs contraints de vivre dans des quartiers délabrés, ouvriers agricoles mexicains et philippins surexploités. Cette Californie est née en moins de deux siècles. On a un peu oublié qu'elle fut, un temps, espagnole.
La Californie est-elle une île ?
Dans les romans de chevalerie que lisaient les conquistadors, la Californie était une terre sauvage et dangereuse, peuplée de femmes guerrières mais dont les armes étaient d'or, une aubaine pour des conquérants. Après les désillusions des premiers contacts sur la côte Ouest du continent nord-américain, les autorités espagnoles se détournèrent de ces territoires qui ne semblaient recéler que des âmes frustes, juste bonnes à intéresser les missionnaires à leur conversion. Dans les anciennes publications espagnoles relatives à l'Amérique, il est question d'une grande île de la Californie où l'on trouve en abondance de l'or et des pierres précieuses. Le nom frappa l'imagination des compagnons de Cortez, qui s'attendaient à trouver l'El Dorado dans toute nouvelle région où ils pénétraient. Ils appelèrent Californie tout le pays situé au Nord et au Nord-Ouest de l'empire du Mexique. Une carte, établie en 1650, par Joan Vinckeboons un cartographe et graveur néerlandais, montre le golf de Californie séparant la basse Californie du continent. À cause des vents dominant de nord-ouest, il est difficile d'atteindre la Californie par mer en venant du sud. Les Espagnols se contentèrent pendant longtemps de longer les côtes de la Californie au retour de leur voyage transpacifique sans s'intéresser véritablement à l'intérieur du pays. En 1534 une petite expédition conduite par Bezerra de Mendoza et Hernando de Grijalva découvrit la côte de la Basse-Californie. Cortez navigua lui-même dans le golfe de Californie, appelé aussi mer Vermeille. Alarcon aperçut, en 1540, l'embouchure du Rio Colorado. Cabrillo, en 1542, longea la côte du Pacifique jusqu'au cap Mendocino. Mais en 1579, un corsaire anglais, Francis Drake, relâcha sur la côte au nord de San Francisco, après avoir pillé quelques villes espagnoles et capturé un galion chargé de marchandises. Cette incursion inquiéta les autorités espagnoles et, en 1602, le capitaine Sebastián Vizcaíno fut chargé d'explorer les côtes californiennes. Il donna leurs noms à de nombreux sites, et c'est à la suite de ce voyage que la légende d'une Californie insulaire fut réactualisée. Ce n'est qu'en 1701 qu'un missionnaire jésuite, le père Eusebio Kino, démontra par ses explorations vers le Colorado que la Californie n'était pas une île.
Qui avant les Espagnols ?
Peuplée pendant près de 15 000 ans par plus de 100 différentes tribus amérindiennes, la région de la Californie a abrité entre 100 000 et 300 000 individus (excusez l'imprécision statistique) jusqu'à l'arrivée des européens. Elle représentait à elle seule près d'1/3 de toute la population amérindienne de ce qui allait devenir les États-Unis. Les tribus des Quechuans, des Chumash, des Maidus, des Miwoks, des Modocs, des Mojaves, des Salinan, des Ohlones, des Hupas, des Pomos, des Cahuilas, des Shastas, des Nisenan, des Serranos ou encore des Tongvas vivaient sur cet immense territoire et pratiquaient la chasse, la cueillette, l'agriculture.
Colons et missionnaires.
Durant les 16 èmeet 17 èmesiècles, l'intérêt des Espagnols se concentre sur le Mexique, le Pérou et les Philippines, avec la prétention de contrôler toutes les terres bordant le Pacifique. Difficile d'accès par voie terrestre ou maritime, la région de la Californie n'a pas présenté d'intérêt pour l'Espagne avant le XVIIIème siècle. Progressivement, les Espagnols s'installent durablement en Californie à partir de 1765, pour empêcher les autres puissances européennes (Angleterre et Russie), de s'établir dans la région. En effet, après la guerre de 7 ans, la France a été évincée du Nouveau-Monde, ne laissant que l'Angleterre et l'Espagne comme puissances colonisatrices. Cette dernière a obtenu de la France le territoire situé à l'Ouest de La Nouvelle-Orléans et de la Louisiane française. Ce gain territorial immense a permis à l'Espagne d'accroître son contrôle du continent, lui permettant de mieux affronter la menace d'incursions russes depuis l'Alaska, alors contrôlé par Tsar. En 1769, Gaspar de Portolá et le missionnaire franciscain Junípero Serra dirigent l' " expédition sacrée ", composée de soldats et d'Indiens convertis venus de Basse-Californie. Ils posent les fondations de la mission de San Diego de Alcalá, première d'une chaîne de vingt et une missions reliées par le Camino real. La plus récente, San Francisco Solano (Sonoma), date de 1823. Junípero Serra (1713-1784), né à Majorque, fonde neuf missions et leur consacre toute son énergie, quitte à entrer parfois en conflit d'autorité avec le gouverneur militaire. Afin de protéger le territoire d'une éventuelle attaque maritime, quatre presidios[1]surveillent les baies de San Diego, Monterey, San Francisco et Santa Barbara. La capitale est installée à Monterey où se trouvent la douane, la maison du gouverneur et la prison. La colonisation démarre lentement. Il faut attirer les Indiens. Mais ceux-ci, non immunisés contre des maladies comme la variole, meurent en grand nombre. Des révoltes sont suscitées par des agressions de soldats contre des Indiennes. Pour peupler le pays, les autorités essaient de faire venir des familles du Mexique. Trois pueblos, San Jose (1776), Los Angeles (1781) et Branciforte (1797), sont organisés sur un plan traditionnel : une plaza entourée par l'église, les habitations et des lopins de terre. Courant 1778, le capitaine britannique James Cook longe toute la côte Ouest au Nord du Chili et rejoint le détroit de Béring en longeant la Californie; de leur côté, les français, bien que chassés d'Amérique du Nord, commencent à commercer avec l'Amérique du Sud et prennent contact avec les marchands locaux, y compris en Californie. Le premier français à y avoir posé le pied est Jean-François de Galaup, comte de La Pérouse, arrivé en 1786, à la tête d'un groupe de scientifiques et d'artistes pour explorer la région.
La période Mexicaine.
L'influence espagnole dans la région du continent américain conduit une partie des espagnols nés au Mexique à se révolter contre la couronne et à s'engager dès 1810 dans la guerre d'indépendance. Confrontée à des difficultés économiques, la Nouvelle-Espagne a voulu réformer l'administration de ses colonies pour les rendre plus rentables, mais l'influence des révolutions américaines et française a eu un rôle important dans la volonté des mexicains de s'affranchir de la tutelle espagnole. En 1821, le Mexique obtient son indépendance et la Californie devient une province du Mexique. Une ère nouvelle commence. À partir de 1834, les missions sont sécularisées et transformées en églises paroissiales. Mal entretenues au XIXe siècle, elles ont été depuis restaurées. Les plus belles sont celles de San Carlos Borromeo (Carmel) et de Santa Barbara. Pour attirer des colons, les gouverneurs accordent des concessions de terres qui ne peuvent pas légalement dépasser 19 766 hectares. Le pays se couvre d'exploitations d'élevage, les ranchos. Une fois par an, les animaux sont regroupés et marqués au fer lors d'un grand rassemblement, le rodeo. Les cuirs et le suif sont échangés contre des objets divers apportés par des marchands venus pour la plupart de Nouvelle-Angleterre après avoir contourné le cap Horn. Un jeune étudiant originaire de Boston, Richard Henry Dana, a décrit ce commerce dans un livre célèbre, ( Deux ans sur le gaillard d'avant). La société se diversifie, et des familles puissantes rivalisent pour le pouvoir.
Les Etats-Unis s'imposent.
Dans les années 1840, la Californie, dont les ports sont convoités, devient l'enjeu de rivalités entre les États-Unis, l'Angleterre et la France. En 1835 et 1837, le président des États-Unis, Andrew Jackson, avait essayé de l'acheter. Ses successeurs reprennent ce projet qui permettrait d'étendre le territoire national de la côte Atlantique à la côte Pacifique. Le Texas, révolté depuis 1836, en fournit l'occasion. En 1845, le Mexique refuse d'accepter l'annexion par les États-Unis de son ancienne province. Des incidents éclatent sur une frontière contestée et, en mai 1846, les États-Unis déclarent la guerre au Mexique. Aussitôt leurs forces maritimes prennent possession de la Californie. Le 7 juillet 1846, le drapeau américain est hissé sur la douane de Monterey. Dépourvus d'armement, les Californiens ne peuvent pas résister, mais les brimades exercées par les occupants les poussent à la révolte à Los Angeles. Cependant, submergés par le nombre, ils se rendent en janvier 1847. Vaincu, le Mexique doit accepter de vendre la moitié du territoire de la Californie aux États-Unis par le traité de Guadalupe Hidalgo, signé le 2 février 1848. Quelques jours plutôt, de l'or a été découvert sur le domaine de Johann Sutter. On connaît la suite, le 9 septembre 1850, la Californie devient le trente et unième État des États-Unis.
Que reste-t-il de la Californie espagnole ?
Bien entendu, il reste un extraordinaire mélange de populations, à tel point qu'on parle autant espagnol qu'anglais dans la Californie d'aujourd'hui. De manière plus anecdotique, il reste au centre de Los Angeles, le village (pueblo) original, rempli aujourd'hui de magasins de souvenirs. Il subsiste également une route des missions, qui du nord de San Francisco à San Diego relie 21 missions dont les bâtiments ont été rénovés. Enfin, il nous reste Zorro, ce justicier masqué vêtu de noir qui combat l'injustice dans la ville de Los Angeles. Il a été le personnage central de quarante-cinq films, de quatre séries télé, six dessins animés et je ne compte pas les pièces de théâtre, les BD et les jeux vidéo. Derrière le personnage créé par Johnston McCulley, beaucoup ont cherché un personnage historique. A partir de la figure de Zorro l'expatrié, Hollywood peut offrir aux Etats-Unis un mythe culturel fondateur, une figure héroïque et romantique susceptible de développer le sentiment national. Né en Californie mais éduqué en Espagne, Zorro est l'image du défenseur du peuple contre les autorités mexicaines corrompues et cruelles, et également l'allégorie du passage du vieux monde à la modernité américaine, par l'annexion de la Californie aux Etats-Unis. Alors, qui était derrière Zorro, je vous laisse chercher, les hypothèses abondent ! N'empêche, quand il y a une rediffusion, je ne peux m'empêcher d'admirer Diego de la Vega sifflant pour appeler Tornado ou Zorro échappant à la meute en s'agrippant au lustre de la caserne.
Pour en savoir plus :
Annick Foucrier, Antoine Coppolani, Collectif, La Californie : périphérie ou laboratoire ?, l'Harmattan, 2004
https://www.cairn.info/revue-pouvoirs-2010-2-page-5.htm Pour se faire plaisir : https://www.youtube.com/watch?v=6tUUisljB8E https://www.youtube.com/watch?v=jEi-JPy0vp8 Pour télécharger l'article