Réellede Guillaume Sire 3,75/5 (22-09-2018)
Réelle (308 pages) est sorti le 22 août 2018 aux Editions de L’Observatoire.
L'histoire (éditeur) :
Enviée, choisie, désirée : Johanna veut être aimée. La jeune fille ne croit plus aux contes de fée, et pourtant… Pourtant elle en est persuadée : le destin dans son cas n’a pas dit son dernier mot. Les années 1990 passent, ses parents s’occupent d’elle quand ils ne regardent pas la télé, son frère la houspille, elle danse dans un sous-sol sur les tubes à la mode, après le lycée elle enchaîne les petits boulots, et pourtant… Un jour enfin, on lui propose de participer à un nouveau genre d’émission. C’est le début d’une étrange aventure et d’une histoire d’amour intense et fragile. Naissent d’autres rêves, plus précis, et d’autres désillusions, plus définitives.
Mon avis :
Dans une petite ville de Province, il était une fois une jeune fille belle, très belle mais à la vie plate, tellement plate, et ce même avec les leçons de sa copine Jennifer, de trois ans son ainée lui permettant de mettre un pied dans le monde de l’adolescence premières clopes, premiers verres d’alcool et premiers petits copains) loin des leçons de danse de madame Merzeau…
Johanna, 11 ans, rêve d’être aimée (par son père, par Antoine, par la France…) et, peut-être de ce fait, rêve de participer à « Graines de star », connaître la célébrité, côtoyer Ophélie Winter …
Réelle, c’est la vie de Johanna, c’est son adolescence, son parcours (passant de l’audition régionale ratée à une nouvelle convocation des années plus tard), sa vie dans l’âge adulte, arrivé bien trop tôt (de jeune caissière à Auchan à célébrité), ses déceptions, ses amours (abusés et tristes, souvent), les paillettes, les coups durs…
S’il est aisé d’évoquer le sujet de Réelle, je trouve qu’il est moins facile de bien vous parler de la forme, de la manière dont il est traité, et surtout difficile de vous expliquer pourquoi j’ai aimé sans avoir à évoquer de nombreux points qui, en temps normal, m’auraient plutôt fait refermer le bouquin. La force de Guillaume Sire est pourtant là : la froideur qu’il utilise dans sa narration apporte énormément au roman. Réelle : voilà bien un titre qui sied à merveille à ce roman. L’auteur nous transporte dans la normalité et c’est justement ce détachement et cette absence d’émotion dans la description des situations, des événements et chez les personnages qui apportent, à mon sens, la finesse et la justesse de son contenu.
Etonnamment, on s’attache très vite à Johanna et on suit avec une certaine appréhension son évolution (jugeant regrettables nombreuses de ses expériences), craignant pour son avenir… Désillusions et rêves s’enchaînent sans fougue mais avec naturel, comme si tout ça était un peu l’histoire de chacun, Johanna gagnant presque le grade d’image de l’adolescence d’une génération.
« Nunez avait sans doute raison : les études ne sont pas faites pour tout le monde. Or, précisément, elle se sentait comme tout le monde : Mademoiselle Tout-le-monde. Et elle ne se sentait pas plus différente sous prétexte qu’elle rêvait de devenir célèbre, car au fond elle savait que tout le monde en rêve.
Elle obtint le bac avec dix de moyenne (dix zéro zéro). Le soir des résultats, la fléchette lancée quelques semaines plus tôt par le conseiller atteignit sa cible. Johanna était certaine désormais de ne pas vouloir s’inscrire à l’université. Qu’y aurait-elle fat ? Dans quel parcours ? Où vont les gens comme tout le monde ? Psychologie ?.... Non, ils travaillent. Parce que tout le monde travaille. » Page 107
Back to the 90’ où Mammouth (futur Auchan) existait encore, où les World Appart, les 2 be 3, les Spice Girl animaient nos boums, où le minitel et la cabine téléphonique étaient la pointe de la technologie. Réelle c’est un retour dans les années 90, à l’époque des prémices de la téléréalité, qui deviendront un peu plus tard le Loft Story, son hystérie, la gloire, la descente et les conséquences… Guillaume Sire, sans jamais donner de leçons, raconte et pointe le doigt sur la perversité d’un système (du vieux Loft qui avale les candidats et les recrache sans état d’âme jusqu’aux émissions actuelles où l’humiliation des invités ou des chroniqueurs est de mise).
« Johanna passa d’une douzaine de cigarettes par jour à deux paquets ; aucune position n’était évidente dans la piscine et elle avait le sentiment, au fond, de ne plus savoir nager. Quelque chose s’était brisé entre Edouard et elle. Ce n’était plus l’idylle des premiers jours. Où vont les personnages des comédies romantiques lorsque le générique est terminé ? Edouard en vint à penser qu’il aurait peut-être été préférable de mieux se renseigner concernant le Moyen Age, et en particulier sur le bousculement, irréparable selon sa mère, de la période romane à la période gothique. » Page 200
Le style ne manque pas de notes d’humour. Et sous ses airs directs, absents d’émotion (sans pour autant empêcher l’empathie) et sans descriptions superflues, l’auteur arrive avec quelques métaphores ou mots particulièrement bien choisi à poser une situation, décrire si bien une réalité.
« En se réveillant, Johanna crut que ce jour était comme les autres, qu’elle s’habillerait, déjeunerait, irai au collège puis aux toilettes du cinquième étage retrouver Antoine et servir le bonheur, mieux lapider l’enfance ; puis ses pensées refluèrent comme si, encapsulées, elles avaient besoin que Johanna se levé pour descendre derrière ses yeux
Aujourd’hui c’était Graines de star. » Page 92
Même si le roman souffre par moment de quelques longueurs dans la trame, j’ai particulièrement aimé la brièveté des chapitres qui rythment efficacement la lecture.
Vous dire que je me suis retrouvée en Johanna serait un bien grand mot (même si nous avons quasiment le même âge) mais dans son époque, oui ! J’ai suivi cette jeune fille avec tendresse et les lignes de Guillaume Sire avec beaucoup d’intérêt.