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(Note de lecture), Dante Alighieri, Purgatoire, traduction de Danièle Robert, par Claude Minière

Par Florence Trocmé

Les devinettes de la Comédie

Dante purgatoire
Après celle de l’Enfer, Danièle Robert nous livre aujourd’hui sa traduction du Purgatoire, le deuxième des trois volumes qui composent la Divine ComédieDivin, devinettes, énergie sombre.
Le divin est à deviner

« Je me tournai, tendu vers les tons
et c’est le Te deum qu’il me semblait
entendre, dans la voix mêlée aux doux sons »
Chant IX, vers 139-141

Le poète écrit bien mi parea…,
là où il faut de l’assurance --- la justice de Dieu --- Dante, poète, s’autorise à jouer. Le divin est à deviner, il sera nouveau, hors les langues rassises, surprenant, joueur. On ne doit pas oublier qu’écrivant sa Comédie Dante est en train de créer l’italien. Il ne crée point ex nihilo cette langue mais à partir du toscan, du provençal, du latin. Dans bien des cas son poème demande au lecteur de deviner le sens de mots ou expressions ou combinaisons nouvelles. A l’oreille, par intuition, indices et conjectures (1). Dante aime entrebescar, entremêler, et sa traductrice nous a rappelé que son inventivité linguistique est mise au service de la rime, comme la rime à son tour éclaire d’où elle provient. Détails, cellules musicales, jeux de mots sont emportés dans le mouvement du vers. Le vers a une force de transport, de franchissement, et d’appel.

« Nous sommes venus, vous précédant de peu,
par un autre chemin, si âpre et violent
que cette montée nous paraîtra un jeu. »
(Chant II, vers 64-66)

L’œuvre du génial Florentin a sollicité l’engagement de grands traducteurs-poètes comme Jacqueline Risset. Danièle Robert, qui a traduit les Métamorphoses d’Ovide (2001)*, et bien d’autres œuvres encore du thésaurus, sait que traduction et « réécriture » de Dante exigent deux dispositions essentielles : l’aptitude aux trouvailles locales et l’intelligence globale de l’œuvre (de la « comédie ») (2). A ces deux dispositions de base ajoutons une troisième, oblique, l’instinct (3). Si la traductrice justifie ses choix de mots ou tournures de manière savante, cette science n’écarte pas pour autant l’instinct, là où, elle écrira « sourire » et jamais « rire ». Mais le défi le plus grand reste, à mon sens, que l’importance des rimes ne supplante pas celle de la prosodie. Un exemple de réussite ? Page 129 : « Lecteur, mon sujet, comme tu le vois, / s’élève et si d’un art plus raffiné / je le pare, ne t’en étonne pas ».
Conversions

« et s’en fut comme un tonnerre disparaît
quand un nuage se brise en branle-bas »

Le Purgatoire est un espace de transition. Les transformations précipitées qui peuplaient les Métamorphoses d’Ovide s’y font encore sentir. Comme parfois aussi revient un souvenir de l’Enfer, le précédent volet de la Comédie** : « Je te suivrai autant que je pourrai ;/ l’ouïe nous réunira à la place / de la vue, si nous l’interdit la fumée. » Fumée aveuglante, éclairs, tonnerres,… le trajet du pèlerin n’est pas de tout repos. Mais la tension des rencontres et le ton des dialogues sont déjà plus légers : « Réponds-lui et demande si l’on peut monter par là. » (Chant XVI, vers 29-30). On ne peut faire plus justement trivial.

L’énergie sombre
Certaines œuvres littéraires plus que d’autres semblent entretenir un rapport naturel avec le mouvement général de l’Univers. La Divine Comédie est de celles-là, jusque par l’énergie sombre (4) qui la promeut. Avec le Purgatoire (quelle invention !) les choses s’allègent, se desserrent, s’entrouvrent, donnent de l’espace et un horizon. L’Enfer était insupportablement concentré, « tassé », lourd, clos et statique. Avec le Purgatoire s’amorce une subtile accélération, une dilatation. Les voix s’allègent dans leur propos et leur élocution. La pente (la montée) s’amorce. De point en point l’élargissement persuade le souffle du poème clarifié par l’énergie sombre du poète.
Claude Minière
1. Au long du Purgatoire, mais, bien sûr, c’était déjà le cas dans l’Enfer. Par exemple, le mot buffa pouvait être mis pour beffa (« ruse ») afin de rimer avec rabuffa deux lignes plus bas. (Cf. Danièle Robert, Notes de L’Enfer).
Rappelons également que l’on sortait de l’Enfer par un chemin caché « qui ne se voit pas mais au son se repère », Chant XXXIV, vers 129.

2. Elle notait à propos des Métamorphoses : « le poème est une immense fresque dans laquelle chaque détail, minutieusement calculé, ciselé, concourt à former un ensemble admirable tout en opérant paradoxalement une subtile dislocation de ce même ensemble. » (page 13 de la préface dans le volume de la collection Babel).
3. « Cet instinct qui devine » (Georges Bataille).
4. Les astrophysiciens nomment énergie sombre (« dark energy », car elle n’est pas visible) le principe agissant dans l’expansion de l’Univers. Cette force est l’opposée de la gravité qui, à son point de concentration extrême, provoque les « trous noirs ».
Dante Alighieri, La Divine Comédie, Le Purgatoire. Traduction, présentation et notes de Danièle Robert. Edition bilingue. Actes Sud, 536 p. 26€

*Les éditions Actes Sud viennent de rééditer, en poche, cette traduction. Ovide, Les Métamorphoses, traduction de Danièle Robert (2001) Babel, Actes Sud, 2018, 528 p., 10,50€
** Dante Alighieri, La Divine Comédie, L’Enfer. Traduction, présentation et notes de Danièle Robert. Edition bilingue. Actes Sud, 2016, 544 p. 25€


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