Le 4 juin 2018, Bayer annonce la volonté de faire disparaitre progressivement le nom de Monsanto, pour des raisons d’image défavorable, société dont l’acquisition lancée le 14 septembre 2016 a été finalisée par l’Allemand en 2018. Cette acquisition, qui a coûté la coquette somme de 63 milliards de dollars, a permis à Bayer de devenir N°1 mondial des semences, pesticides et plus globalement du phytosanitaire.
Le 10 aout 2018, Monsanto est condamné à verser 289 millions de dollars au jardinier Dewayne Johnson suite à l’exposition de celui-ci au Glyphosate (Roundup). Suite à cette annonce, l’action de Bayer a perdu plus de 10% de sa valeur le jour même et a continué de plonger tout le mois d’aout.
Le Glyphosate, l’un des produits phare de Monsanto, fait l’objet de nombreuses contestations dans le monde. L’Union Européenne s’est inquiétée des risques liés au produit, comme l’a démontré le débat autour de son renouvellement. Malgré ces doutes, l’autorisation d’exploitation du produit a été reconduite pour 5 ans, ignorant tous les préceptes de la précaution sanitaire. Cette reconduction avait été rendue possible par l’abstention de l’Allemagne, lors du vote qui a eu lieu peu de temps avant d’autoriser l’acquisition de L’Américain par Bayer. La France a réfléchit à interdire le produit d’ici 3 ans, ce qui a conduit les médias Français à tourner l’ex ministre de l’environnement en dérision, et a considéré que dans 5 ans le Roundup sera toujours commercialisé en France et en Europe. Au Brésil le gouvernement réfléchi également à interdire le Glyphosate.
Une industrie agroalimentaire dominée par le modèle Monsanto
Monsanto a longtemps été vu comme le leader des semences OGM et des produits phytosanitaires dont par exemple le Brésil et les USA ont été fortement dépendant.
La dépendance au produit phytosanitaire ne date pas d’hier puisqu’au sortir de la seconde guerre mondiale, l’agriculture a confié son devenir aux industries de la chimie capables d‘assurer la suffisance alimentaire. Primo Lévi en a vanté les mérites comme l’explique Fabrice Nicolino. [1]L’une des raisons pour lesquelles l’Europe freine des quatre fers est précisément sa dépendante aux pesticides qui contribue au succès de son l’agriculture intensive. L’arrêt en 2013 de l’un des anciens produits phares de Bayer, le Gaucho, a contribué à diriger cette dépendance envers Monsanto.
Au Brésil, la dépendance de Roundup est aussi forte, puisque la justice Brésilienne traine à l’interdire, se donnant encore 30 jours. Le planning colle étrangement avec celui des élections présidentielles. Ces élections sont un vrai pari au résultat incertain dans un pays rongé par la corruption.
Cette dépendance est un enjeu de sécurité agricole pour les états dès lors qu’elle se concentre sur une unique firme sur l’ensemble de la chaine de production (de la semence à l’assiette). En effet, le géant agroalimentaire General Mills évoque sa dépendance à Monsanto en s’excusant de la présence de Glyphosate dans ses céréales et sa volonté de porter plainte contre Bayer-Monsanto.
Un secteur en pleine consolidation
La tentative de rachat échouée de Monsanto par Dow Chemical en 2016, concurrent historique de Monsanto, a déclenché les hostilités. S’en est suivi alors un fort mouvement de concentration qui a conduit à :
- Voir Bayer, géant mondial de la chimie, racheter Monsanto en 2016
- Voir Dow Chemicals et DuPont fusionner en 2017, devenant alors n°2 mondial
- Voir ChemChina faire une OPA sur Syngenta 2017, désormais n°3 mondial
Cette vague de fusions et acquisitions a suscité des inquiétudes de la part des ONG, mais aussi des autorités de la concurrence qui craignent de voir s’installer un oligopole avec la création potentielle d’un cartel ou de collusion. Pour apaiser ces craintes tant côté américain qu’européen, les autorités de la concurrence ont imposé une série de contraintes pour rendre le rachat de Monsanto possible. L’opération était en effet conditionnée par la session, exigée par l’UE et confirmée par les USA, de la division semence de Bayer à l’Allemand BASF.
Une forte collusion entre les Etats et les entreprises du secteur
La récente démission de l’ex ministre de l’écologie, Nicolas Hulot, a mis la lumière sur une forte collusion entre les entreprises privés et le pouvoir via les lobbies. M. Hulot a exposé sur la matinale de France Inter les relations dangereuses dans le cadre des enjeux alimentaires. Cette collusion ne date pas d’hier : dès 1962 la scientifique Rachel Carlson dénonçait les dangers des pesticides, se retrouvant ainsi l’objet d’une véritable cabale de la part des industriels dont Monsanto et Dow – elle se verra notamment accuser d’être un agent du KGB par les autorités américaines comme le rappelle Fabrice Nicolino. Plus récemment, certains ont estimé bon de rappeler que l’agent Orange a été produit par Monsanto, auquel le Vietnam demande des dommages et intérêts. Cette affirmation n’est que partiellement vraie car il a été omis de rappeler que celui-ci avait été développé conjointement avec Dow Dow pour satisfaire les besoins de l’armée Américaine lors de la guerre du Vietnam.
Cette collusion semble se confirmer, du fait du doute persistant sur les relations entre Bayer et le gouvernement allemand lors du vote de l’interdiction du Glyphosate. Le site opensecrets.org montre les montants dépensés en lobbying aux USA par chaque firme. On constate dès lors que Monsanto a financé des sénateurs américains, mais aussi la fondation Rockefeller durant des années. Les « Monsanto papers » montrent comment la firme a financé les sociétés d’autorisation de mise sur le marché et les laboratoires associés. Monsanto a également bénéficié d’autorisations spéciales pour ses OGM de la part du gouvernement Fédéral via le Monsanto Act. Les liens entre le gouvernement Américain et les firmes Dow et DuPont, désormais DowDuPont (DWDP), sont élégamment pointées du doigt. En effet, DWDP a réalisé des dépenses conséquentes au sein des commissions et auprès des sénateurs liés à celles-ci. Au printemps 2018, DWDP a lancé sa division centrée sur l’agro-science avec l’ancien secrétaire à l’agriculture Américain Michael O. Johanns lié au projet en tant que membre du conseil d’administration. Depuis le printemps DWDP communique sur l’implantation de sa nouvelle filiale au brésil, comme support à la démocratie alimentaire.
Ces relations étant si imbriquées entre le pouvoir public et les producteurs de produits phytosanitaires que cela peut expliquer partiellement :
- Les autorisations et interdiction de mise sur le marché dans les différents pays ;
- Le silence planant durant des années autours de dangers des produits phytosanitaires ;
- Les enjeux géopolitiques sous tendus.
Les attaques juridiques à l’encontre du leader allemand
Depuis plusieurs années, Monsanto et le Glyphosate ont souvent fait l’objet de menaces de représailles juridiques tant en Europe qu’aux USA, mais le groupe a toujours réussi à passer à travers les mailles du filet. Aux USA le procès du Glyphosate avait été bloqué par un juge fédéral entre Février et Juillet 2018, et certaines études fédérales défendaient par le passé l’innocuité du produit, alors même que la nocivité était connue depuis 1999 comme l’expliquent les « Monsanto Papers ».
Le timing a de quoi interroger au vu des relations passées entre la firme et l’état. D’autant plus qu’un certain nombre de « class actions » (procès groupés) ont été intentées contre les deux firmes à savoir :
- Contre Bayer :
- en fin 2016 concernant l’Elishean
- contre l’implant contraceptif de Bayer l’Essure dès mars 2018.
- Contre Monsanto :
- concernant le Glyphosate et regroupant plus de 8000 plaignants en aout 2018 (contre 5000 en mars 2018), faisant dire à certains spécialistes économiques que si chacun obtient la somme obtenue par le jardinier Dewayne Johnson, Bayer ne s’en remettrait pas.
- contre un herbicide (le Dicamba) le 16 aout 2018.
Une société civile suivant le rythme des affaires
Le débat sur le Glyphosate est rentré récemment dans l’actualité médiatique avec des attaques renforcées entre 2016 et 2018, les ONG et les journalistes s’emparant dès lors du sujet. Certains médias n’ont pas hésité à parler de la maitrise totale de la « chaine du cancer » avec le rachat de Monsanto, alors même que le champ d’application de Bayer n’a pas évolué suite au rachat. Egalement, dès 2017, des marches ont été organisées à l’encontre du rachat de Monsanto par Bayer à l’initiative des Amis de la Terre (ONG Américaine, financée par la fondation Rockefeller). En revanche, lors de la fusion de DuPont et de Dow en 2017, peu de voix se sont levées pour dénoncer les méfaits passés et actuels des deux sociétés. Bayer qui a compris le pouvoir de la société civile et de l’importance de son image, tente de développer une perception positive de l’entreprise en jouant sur la notion de transparence en:
- Incitant les ONG à venir poser leurs questions sur la fusion des deux sociétés ;
- Créant une plateforme pour publier l’ensemble des études sur les produits commercialisés par Bayer ;
- Finançant des projets d’aide alimentaire en Afrique, permettant aussi de créer une dépendance et un marché pour ses produits.
Le débat actuel sur le Glysophate semble avoir accaparé le débat public, alors que celui sur les OGM a quasi disparu ces dernières années. En effet, Monsanto, qui est également leader des OGM, est de moins en moins attaqué sur ce sujet. Entre 2017 et 2018 DWDP a investi pour développer les OGM et s’intéresse à Crispr (ciseau à ADN), sujet infiniment lié au OGM.
De même, les revues spécialisées en agriculture, par exemple en France, s’attaquent au Roundup dans certains articles et vantent les mérites de DWPD dans d’autres en dépit de tout principe de précaution, quand on connait le débat sur les OGM a quasi disparu ces dernières années leur dépendance aux produits phytosanitaires. Cela est surprenant : il faut croire que la société civile n’a pas tiré les leçons des épisodes du Gaucho et du Roundup.
Une attaque en réputation bien orchestrée
L ‘association allemande Novethic publie depuis des années une liste des actions néfastes commises par Bayer, pour se venger d’une contamination datant d’il y a 30 ans : celle de la rivière Wupper. Cette liste à la Prévert n’a eu qu’un rayonnement local durant des années, mais a commencé à rayonner à partir de 2016, et relate des faits en grande partie véridiques et préjudiciables pour l’image de la marque. Les faits ont été d’abord relayés en septembre 2016 par le controversé Dr Matthias Rath, qui entretient des relations avec certains fonds de recherche américains. Ensuite, des médias et des blogs internationaux dont Agoravox et Mediapart ont diffusé l’information en octobre 2016. En août 2018 , au moment du procès de Dewayne Johnson, les mêmes informations se sont retrouvées sur Twitter, Facebook mais aussi dans des médias généralistes dont le célèbre magazine de pop culture Konbini. La page Wikipédia de Bayer a progressivement évolué pour ne faire apparaitre plus que les affaires de Bayer.
Les faits reprochés à Bayer sont les suivants :
- Avoir acheté des femmes à Auschwitz (ce fait a aussi été reproché à BASF en 2016 mais celui-ci a disparu des articles en 2018).
- Avoir vendu du sang contaminé sciemment aux enfants hémophiles dans les années 80 et d’avoir écoulé les stocks en Afrique.
- Avoir vendu de l’huile frelatée causant la mort de 600 personnes.
- Avoir créé le gaz moutarde et l’héroïne.
- Avoir détruit la biodiversité, et ruiné les paysans tout en générant la faim dans le monde
- Avoir vendu des produits contraceptifs dangereux.
B.Berard
[1] Nous voulons des coquelicots, 2018.
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