" Profondément français, attaché viscéralement à ses racines arméniennes, reconnu dans le monde entier, Charles Aznavour aura accompagné les joies et les peines de trois générations. Ses chefs-d'œuvre, son timbre, son rayonnement unique lui survivront longtemps. " (Emmanuel Macron, Twitter le 1er octobre 2018).
L' aznamania s'est emparée des médias ce lundi 1 er octobre 2018. De manière justifiée. Et c'est tant mieux ! Le départ pour l'ombre de Charles Aznavour, l'un des derniers (le dernier ?) de sa génération, à l'âge de 94 ans (il est né le 22 mai 1924 à Paris), l'a mis en pleine lumière. Des chansons à l'air et aux paroles si connus, des films aussi, des pièces de théâtre...
Charles Aznavour, "monstre sacré" de la chanson française, qui a vendu plus de 180 millions de disques au cours d'une très longue carrière, soixante-douze ans ! Mais aussi 80 films. Parolier, compositeur, interprète. Il a rencontré Charles Trenet et Édith Piaf au début de sa carrière. Il a mis une dizaine d'années avant de vraiment décoller avec le "tube" : "Je m'voyais déjà". Très vite la consécration dans ses spectacles qu'il enchaîna tout au long de sa vie. Il a encouragé Johnny Hallyday qui faisait un peu partie de sa famille. Également Michel Sardou quand il a eu du mal à décoller aussi.
Honoré par beaucoup de récompenses et de reconnaissances, comme un César d'honneur en 1997, la Victoire de la musique de l'artiste interprète masculin en 1997, une Victoire de la musique d'honneur pour l'ensemble de sa carrière en 2010... et aussi une étoile au Walk of Fame à Hollywood (catégorie chanson) en août 2017.
Un travailleur impressionnant et infatigable. La retraite à 60 ans, pas pour lui ! Il n'envisageait pas d'arrêter par lui-même. Il avait fait des concerts à Bercy en décembre 2017. Il revenait d'une tournée au Japon, et discutait encore la veille de sa mort avec Michel Leeb (qui a fait beaucoup de ses débuts de spectacle) de ses projets, des spectacles, un film, etc. Il avait prévu de faire un concert à Boulogne le 8 novembre 2018. Chanter quand on est nonagénaire, ce n'est pas évident. La voix est plus faible, le souffle plus court. Charles Aznavour se moquait de lui en disant qu'il tremblait des mains. Pas parce qu'il avait le tract, comme à ses débuts, mais à cause de l'âge.
Dans les nombreux hommages et témoignages, il y a bien sûr les origines arméniennes de Charles Aznavour, au point d'avoir acquis la nationalité arménienne en 2008, et de devenir l'ambassadeur d'Arménie en Suisse (où il habitait) et représentant permanent de ce pays aux Nations Unies. Il était allé chanter à Erevan, la capitale de l'Arménie, le 26 septembre 2001 lors de la venue historique du pape Jean-Paul II.
C'est justement ces origines que je souhaiterais évoquer. Le destin de Charles Aznavour n'aurait dû avoir rien de français à l'origine (même s'il a toujours été français puisque né en France !) : ses parents arméniens étaient de passage à Paris en attente d'un visa pour aller aux États-Unis. Le succès de Charles Aznavour est l'un des exemples que l'immigration est une chance pour la France. Oui, il faut insister sur ce sujet. Il n'était pas seul, il y a des nombreux monstres sacrés français issus de l'immigration, de Lino Ventura à Yves Montand, etc.
Comme l'a décrit très bien le Président Emmanuel Macron dans son tweet d'hommage, Charles Aznavour était un grand Français tout en étant respectueux de ses origines, et en plus, tout en étant le représentant de la culture française dans le monde et en particulier, aux États-Unis, pays à l'influence culturelle quasi-hégémonique. On ne peut pas être grand, fort, à l'aise avec soi-même et avec les autres, si on occulte ses origines. C'est une évidence. Sans source, le fleuve tarit.
Exactement ce qu'a affirmé l'ancien Premier Ministre Manuel Valls le 30 septembre 2018 dans le journal de 20 heures sur France 2 : fier d'être un Français et fier de ses racines catalanes.
Même Geoffroy Lejeune, directeur de "Valeurs actuelles", l'a reconnu sur LCI le 1 er octobre 2018, Charles Aznavour est un exemple modèle de l'immigration réussie. Il notait cependant la différence entre hier et aujourd'hui. Hier, les personnes immigrées venues s'établir en France s'assimilait et se fondait dans la culture française qu'ils enrichissaient en ricochet par leur propre apport. Alors qu'aujourd'hui, il n'y a plus assimilation mais volonté d'exporter la culture d'origine en France, de cloisonner les cultures.
Il est vrai qu'il y a certaines fois des problèmes, mais le problème est de savoir d'où il vient, comme l'histoire de la poule et de l'œuf. Est-ce que la culture d'origine s'est renforcée sur le territoire français par réponse identitaire, en réaction au rejet que certains ressentent (réel ou fantasmé) de la part de personnes françaises vivant en France depuis des lustres ? (du moins, leurs ascendants). En fait, le repli identitaire a dû se développer parallèlement dans une société en crise économique et en crise morale forte, qui a besoin de renouer avec des racines peut-être oubliées ou négligées. Après tout, la Révolution iranienne de 1979 n'a prospéré au sein du peuple iranien qu'en raison d'une modernisation "à l'occidentale" amorcée beaucoup trop rapidement par le (dernier) Shah d'Iran et faisant fi de la culture iranienne.
Parce qu'il a chanté devant trois ou quatre générations de Français, et parce qu'il a été un acteur dans de nombreux films, Charles Aznavour a été un personnage familier du peuple français. C'est donc normal qu'aujourd'hui, au même titre que d'autres "célébrités", il soit honoré, et d'abord par une occupation du temps médiatique qui, pourtant, pourrait être mis à contribution pour d'autres événements récents. Il n'y a donc rien d'étonnant à cela. À 94 ans, il faisait figure pour beaucoup d'oncle, de grand-père, ou même de patriarche de la chanson française. Il est le merveilleux "produit" de la magie française du creuset républicain. C'est accessible à tous les Français quelles qu'en soient leurs origines. Il "suffit" d'avoir du talent (ce qui n'est pas donné à tout le monde !), et Charles Aznavour n'en manquait ! Qu'il repose en paix.
" Emmenez-moi
Au bout de la terre,
Emmenez-moi
Au pays des merveilles.
Il me semble que la misère
Serait moins pénible au soleil. "
Charles Aznavour (1967).
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (01 er octobre 2018)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Charles Aznavour.
Maurice Chevalier.
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20181001-aznavour.html