Pour ne plus jeter son argent, son
temps… et ses salariés par la fenêtre
Et si
on arrêtait de payer des études des centaines de milliers d’euros, quand ce ne
sont pas des millions, pour qu’elles finissent dans des placards.
Oui, le
monde est incertain et turbulent, mais ce n’est pas en le mettant en équation à
coup de tableurs excel et de simulations multicritères que l’on pourra trouver
la martingale magique. Et inutile de croire que l’on peut sous-traiter la
pensée stratégique à des gurus externes : la pensée hors-sol ne produit de la
valeur que dans l’imaginaire, mais pas dans la réalité.
Et si
on arrêtait de réserver la pensée stratégique à l’équipe de direction en lui
faisant passer des heures en séminaires pour concevoir des stratégies
impossibles à mettre en œuvre ou caduques avant que l’on ait pu commencer à les
mettre en œuvre.
Oui,
elle doit participer à la construction de la stratégie, mais pas au cours de
séminaires clos. La pensée stratégique suppose de trouver des points fixes qui
pourront guider l’action immédiate. Ce n’est possible qu’au travers d’un
processus structuré, et non pas dans des conclaves dont on doit sortir à tous
prix avec la bonne réponse. Ne rêvons plus d’une fumée blanche annonçant : «
Habemus strategia ! ». On parle d’open innovation, pourquoi pas une open
stratégie ?
Et si
on arrêtait de ne pas tirer les leçons de sa propre histoire, en s’étonnant
ensuite qu’il soit impossible de faire ce qui avait été imaginé dans la théorie
de bureaux perchés au sommet de tours confortables.
Oui, on
ne doit pas être prisonnier de son histoire, et il faut partir du futur pour y
trouver ces points fixes auxquels on pourra arrimer solidement sa stratégie.
Mais s’ils ne peuvent pas être reliés à son passé et son présent, ce ne sont
que des mirages, de dangereuses illusions. Se fixer pour horizon ce qui ne
pourra jamais être atteint, revient à gaspiller ses ressources en temps, argent
et ressources humaines.
Et si
on arrêtait de faire de ceux qui composent l’entreprise des spectateurs
désengagés et désimpliqués, en se privant de leurs savoir-faire et de leurs
connaissances.
Oui, un
processus stratégique ne peut pas être complètement ascendant et il est
illusoire de croire que l’on peut concevoir une stratégie au travers d’une
immense agora, genre « Nuit debout » en version entreprise. Mais faut-il pour
cela passer en pertes et profits tous les savoir-faire, toutes les expériences,
et s’interdire de tirer parti de l’énergie collective ? N’est-ce pas aussi
augmenter les risques de voir la stratégie retenue rejetée par ceux qui auront
à la faire vivre ?
En résumé, stop aux
stratégies jetables et hors-sol, et passons à une stratégie durable, doublement
enracinée, à la fois dans le futur et dans le présent :
- Une stratégie résiliente ancrée sur des points
fixes pour ne pas être remise en cause chaque matin :
Elle
aura ainsi le temps d’être mise en œuvre et de créer de la valeur. Car agir
avec ambition prend des années : on ne devient pas un leader mondial rapidement
et facilement. Par exemple, L’Oréal n’était au départ qu’une entreprise moyenne
; sans la stabilité de sa stratégie – devenir un leader dans l’univers de la
Beauté dans les domaines du cheveu, de la peau et du parfum –, rien aurait été
possible. Ce n’est pas en allant un jour à gauche et le lendemain à droite que
l’on avance vraiment.
- Une stratégie conçue et pensée par l’équipe de
direction, et non pas par des sous-traitants externes :
Des
experts, fussent-ils les meilleurs, ne peuvent pas connaître intimement la
réalité de l’entreprise, de son histoire, de ses contraintes, et ne seront pas
les porteurs de sa mise en œuvre. L’apport externe doit se limiter à des
supports méthodologiques – comment mieux travailler ensemble, comment séquencer
le travail, comment ne pas manquer une étape, comment identifier des points
fixes, … –, ou à des éclairages ponctuels sur une technologie nouvelle, un
concurrent, ou une réglementation.
- Une stratégie enrichie et challengée dès sa
conception par des membres de l’entreprise issus de tous les départements et
pays :
Indispensable
pour ne pas se priver des connaissances accumulées par tous, pour mesurer le
plus tôt possible l’écart entre le présent et ce que l’on commence à imaginer,
pour disposer demain de relais facilitant l’explication des choix faits et
l’implication de tous dans la mise en œuvre. Contribuer, c’est faire soi un
objectif : engager chaque ligne de management, c’est démultiplier la puissance
d’action du terrain.
Pour sauver notre planète
et mettre fin au gaspillage collectif de nos ressources limitées, nous sommes
en train de prendre conscience qu’il nous faut quitter le culte du jetable pour
passer à l’économie durable : mort à l’obsolescence programmée, vive les
circuits courts et l’économie circulaire.
Pourquoi
ne pas en faire de même pour les entreprises et arrêter le gâchis stratégique ?
Florence Cathala (Présidente
d’Overthemoon) et Robert Branche
(Article publié dans les Echos)