Virginie Poitrasson est écrivain, performeuse, traductrice et travaille sur les frontières entre les langues et les genres. Elle a traduit notamment Ben Lerner, Michaël Palmer, Lyn Hejinian ou Cole Swensen. Elle publie assez peu, d’où l’intérêt de ce premier livre depuis six ans.
On se trouve en effet devant un livre très intéressant, original, du rarement lu, écrit dans une langue simple, précise et douée d’une puissante capacité d’évocation. En fait il s’agit de descriptions d’états, placés d’ailleurs sous l’exergue d’Unica Zürn écrivant « quelqu’un qui voyage en moi me traverse ». Virginie Poitrasson donne à lire de petites épiphanies, essentiellement sensorielles, relatées avec beaucoup de précision. Elle rapporte des sortes d’hallucinations, des impressions visuelles curieuses, des expériences. On peut par moments penser à Michaux, à Nerval, à Lewis Caroll : « je cherche ma propre texture, écrit-elle, en épousant la forme des objets qui m’entourent » (p.22). Il y a franchissement constant de limites, de frontières, entre le dedans et le dehors, entre soi et le monde, entre le corps et les objets. On entre dans le motif, papier peint, paysage, rêverie : « je me tapisse par épisodes de ce paradis ». Le cauchemar souvent n’est pas loin : « j’ai peur (...) je suis dans le hurlement du monde, c’est la face hurlante, nue, le pas-comme-si des choses » (p.53).
Les états décrits presque comme des états de la matière sont en fait des états de conscience intermédiaires, subliminaux, courants ou pathologiques. Le texte offre sans cesse des découvertes : « ce qui déborde ici, ce n’est pas ma chair, c’est ma présence même ». Flottent aussi des éléments de hantise, avec la présence intermittente d’une figure douce et fantomatique. On imagine, mais ce n’est pas forcément juste ou pertinent, une mère suicidée par noyade, d’autant que le thème de l’eau est omniprésent et varié de multiples façons. On peut citer aussi cette page qui évoque toutes ces possibilités offertes à la lumière : l’absorption, la réfraction, la réflexion, la dispersion et la diffusion (p.137 et 138) et appliquer ces mots au texte de Virginie Poitrasson.
C’est un beau livre, très original, une véritable expérience poétique à la rencontre de l'autre de soi qui donne au lecteur un sentiment de découverte et même de découverte de soi.
Florence Trocmé
Virginie Poitrasson, Le pas-comme-si des choses, Editions de l’Attente, 2018, 172 p., 16€. Sur le site de l’éditeur.