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Bientôt 40 ans d'émissions littéraires pour le journaliste Sada Kane. Il m'a fait l'honneur de me recevoir à deux reprises chez lui, lors de mon séjour à Dakar l'an dernier. Je savoure encore ce moment et je rends hommage à cet homme de culture exceptionnel dans l'espace francophone...
L'an dernier, à la même période, j'étais à Dakar. Si vous suivez mon blog, vous savez qu'il m'arrive de partager sur des lieux par lesquels je passe si cela peut avoir un quelconque intérêt. Il y a deux ans, j'évoquais Washington et la place de la mémoire dans une nation américaine encore jeune en quête de repère. Il me semblait important de dire combien cet aspect des lieux de mémoire qui rapprochent et participent à la narration du roman national est quelque chose qui manque dans certains pays africains.
A Dakar, j'ai avant tout rencontré des personnes. Des hommes, des femmes. Des acteurs de la société civile. Des artistes. Des hommes, des femmes de culture à savoir Khadi Hane, Narriman Sadouni, Mohamed Touaoula, Racine Senghor, Eloi Coly ou Sada Kane. Ma première rencontre avec Sada Kane remonte à trois ans au salon africain du livre de Genève où la RTS2 vient, loin du tumulte parisien, couvrir l'événement et donne la parole à de nombreux écrivains africains. On m'avait déjà parlé de lui. Présentateur du JT pendant de nombreuses années sur la chaine principale sénégalaise (dans les années 80), il s'est ensuite consacré à des émissions littéraires : Regards, Empreintes, Impressions. Cette dernière émission fait partie de ces contenus qu'il délivre avec la régularité d'un métronome et une reconnaissance dans son pays et en Afrique francophone. Il faisait donc partie des personnes que j'espérais rencontrer dans leur élément. A Dakar. Ce qui fut fait puisqu'il prit le soin de répondre à mon message déposé sur son Messenger peu de temps après mon arrivée dans la capitale sénégalaise.
Le lundi est une journée assez libre pour lui. Il est venu me prendre autour de midi à mon auberge du côté de Ouest Foire. Et nous partîmes dans son 4X4 vers Ouakam (ou vers cette direction) prendre son ami Pape Samba Kane, journaliste également, intellectuel sénégalais. En cherchant sur Google, je trouve des choses intéressantes au sujet de cette figure brillante de l'intelligentsia de ce pays. Direction, la demeure de Sada Kane où de savoureux mets attendaient patiemment d'être dégustés. Avec Fernande, son assistante, nous avons dans son salon échangé de tout et de rien sur un fond de jazz. Après midi exquise. 35 ans au service de la culture. Quand il a commencé son job, j'étais encore à la maternelle. Dans ce genre de contexte, je ne suis pas très bavard. J'ai plutôt tendance à écouter. D'autant plus, que Sada Kane incarne deux cultures auxquelles il est très attaché : le monde occidental et son impact dans la pensée de nombres d'intellectuels sénégalais qu'il reçoit depuis des années et sa culture peule qui est une composante forte de sa personnalité. Sada Kane m'a reçu comme un collègue qui dans ce type de rencontres libres chez. Il aime s'entourer de personnes brillantes dans ce genre de moment, dit-il. Je ne dis pas cela pour flatter mon ego mais pour souligner que la vraie reconnaissance vient de nos pairs et de nos pères.
La discussion fut passionnante. Bijou Fernandez, une jeune casamançaise, étudiante et très vive d'esprit s'exprimait avec beaucoup de passion. Il y avait un échange sur deux générations sur les mœurs des jeunes, et d'autres sujets que j'ai oubliés. Beaucoup de liberté. Avec Pape Samba Kane, il fut pour moi intéressant de discuter avec un journaliste très disruptif dans son approche. Il a dirigé un journal satyrique. Il a écrit plutôt des essais et son roman Les tam-tams du diable, Sabaaru Jinne fut l'occasion de revenir sur sa production littéraire et sa réception hors du Sénégal. Cette question m'importait beaucoup car publié chez Feux de brousse, une maison d'édition locale à Dakar, je n'avais eu vent de son livre que lorsque j'ai travaillé sur les maisons d'édition africaines dans le cadre de ma thèse professionnelle en marketing digital. Une critique sera produite sur ce texte prochainement sur le blog. Le sabaar. Il en est également question dans un épisode du roman De purs hommes de Mohamed Mbougar Sarr. Le sabaar. Le moment où le Sénégal des villes est confronté à ses différentes spiritualités. Islam. Ambiance animiste. On y reviendra lors de la présentation du roman de Pape Samba Kane.
J'aborde la question des castes et des Talibè. Sur les castes, j'ai retenu une anecdote de Sada Kane. Quand cet homme important de ce pays se retrouva dans le Fouta Djallon de ses ancêtres face à une belle peule qu'il voulut aborder, séduire avec son aura de citadin. La réponse que cette lui fît, le renvoya à sa caste de sachants, noble certes, mais incompatible avec celle de cette villageoise. On était là au cœur d'un dilemme. La réponse indirecte de Sada Kane m'a permis de comprendre une forme d'impuissance de l'intellectuel sénégalais face à une structuration très forte de certaines sociétés de ce pays. J'ai cru saisir aussi les raisons de la virulence des postures d'auteur comme Elgas. Quelques mois après, je rencontrais des acteurs du monde du livre guinéen à Alger et je constatais cette organisation était encore plus poussée dans ce pays. Sur la question des Talibè, je ne pense pas avoir insisté. Je dois dire que j'étais conditionné par de nombreuses lectures sénégalaises et par quelques marches sous le soleil de Yoff ou des Mamelles. Je mesure un an après la force d'un acteur comme Sada Kane dans l'animation du débat sur des idées autour des conservatismes et des forces de progrès.
Jazz. Je me souviens d'avoir lu l'histoire de deux sœurs antillaises, Jeanne et Paulette Nardal qui organisaient des rencontres dans les années vingt sur en région parisienne autour du mouvement Harlem Renaissance. Pendant toute cet après midi, j'ai pensé à cela. A l'abri du soleil brûlant dakarois, sous un rythme doux de jazz, des hommes et une femme discutaient. Le dernier jour de mon séjour dakarois, Sada Kane a tenu à m'inviter de nouveau. Nous étions deux cette fois-ci. Là, je lui ai posé des questions sur le journalisme, sa vision des émissions littéraires, sa philosophie et les raisons de sa durée dans le game. Je ne vous ferai pas part de ses réponses. Mais, j'étais très heureux de voir que nous avions la même conception de ce que doit être une émission littéraire. J'avais une lacune importante par rapport à lui : être partagé entre deux métiers, l'informatique et la critique littéraire. Ca joue énormément sur la qualité de la préparation.
Pour revenir sur Sada Kane, je vous invite à découvrir La danse des mots que lui a consacré Yvan Amar pour Radio France Internationale. Le grand journaliste sénégalais s'y exprime librement sur son métier. Vous comprendrez que pour le blogueur que je suis, le souvenir de mon expédition dakaroise est doux et toujours instructif. Sada Kane, bientôt 40 ans de journalisme littéraire au Sénégal.
Cliquez ici pour voir La dans des mots avec Sada Kane