Bruno Rives a choisit de naviguer dans la forme entre deux intrigues, l'une se passant à la Renaissance, l'autre de nos jours, les deux à la recherche de manuscrits précieux. Internet, biographie d'Alde, souvenirs et travaux personnels de l'auteur, livre électronique, j'avoue que tout se mélange un peu en refermant ce livre. Le suspense de l'intrigue tourne court, la révélation de l'auteur véritable du Songe de Polyphile comme étant Bessarion ne convaint pas vraiment. Il faut reconnaître à Bruno Rives de mettre en valeur l'influence d'Aldo Manuzio sur l'édition et la typographie moderne. Même si je ne suis pas trop d'accord avec lui quand il évacue en deux lignes l'influence de Gutenberg et celle de cinq cent ans d'histoire du livre après lui (Estienne, Plantin, Elzevier, pour ne citer que les premiers). Même si l'oeuvre d'Aldo Manuzio est immense, elle est à replacer dans une histoire du livre collective, il n'y a pas qu'Aldo Manuzio dans l'histoire de l'imprimerie, loin de là... Je n'irais pas non plus jusqu'à dire qu'il est au-dessus de Léonard de Vinci ou Michel-Ange...
Regret aussi de ne trouver dans ce livre aucune bibliographie qui puisse renvoyer le lecteur autre part qu'à internet ! De rappeler les immenses contributions à la découverte d'Aldo Manuzio que sont l'ouvrage, bien connu de tous les amateurs, de Antoine-Augustin Renouard "Annales de l'Imprimerie des Alde, Histoire des Trois Manuce et de leurs éditions, 1834" que l'on trouvera sur Google ou plus heureusement dans des éditions reprint ou anciennes. Rappeler aussi le formidable ouvrage de Martin Lowry, The world od Aldus Manutius, paru en 1979 et traduit en français en 1989 aux Editions du Cercle de la Librairie, toujours disponible chez l'éditeur. Livre qui retrace complètement la genèse et l'oeuvre d'Aldo Manuzio, au mileu des intellectuels et artistes de son temps (avec un bibliographie d'une vingtaine de pages). La dimension d'entrepreneur, d'homme d'affaire aussi (qui n'est pas mise en valeur dans le livre de Bruno Rives), en cela il est le premier éditeur moderne. Je ne reviendrais pas sur les débats récurrents quand on évoque la paternité du livre de poche, transportable à Aldo Manuzio. Même s'il a été à l'initiative de la diffusion et du succès de ce format au point d'être honteusement copié au cours du XVIème siècle, les collections portatives aldines étaient à des prix très élevés qui étaient bien loin de concerner le commun des mortels. Bien loin du petit livre pas cher que nous connaissons tous et qui risque bien d'être sérieusement ébranlé dans les années à venir par son petit frère électronique.
Quelques pistes supplémentaires si vous voulez découvrir Aldo Manuzio et l'histoire de l'imprimerie :
- Le catalogue magnifique de la vente du 19 novembre 2004 à Genève, ici.
- "L'Apparition du livre" de Lucien Febvre et Henri-Jean Martin, Albin Michel, (édition electronique disponible)
- "L'Effet Gutenberg" de Fernand Baudin, 1994, Cercle de la Librairie, livre merveilleux, malheureusement épuisé mais que je ne désespère pas de voir réédité un jour.
- "Histoire de l'Edition, Tome 1, le livre conquérant", Promodis, 1982, également épuisé mais présent dans toute bonne bibliothèque...
- devenir collectionneur des éditions aldines (en ne vous effrayant pas sur les prix du libraire hollandais, financier serait-il plus juste de dire, il est de notorité sur la place qu'ils sont complètement déconnectés de la réalité du marché ; hormis pour des éditions et des reliures d'exception, collectionner des livres d'Aldo Manuzio ne relève pas de plaisirs inaccessibles, certaines pour le même prix...)